lundi 13 avril 2009

Héritiers, ascenseurs et symboles...



Les symboles sont partout. Il suffit de savoir les lire.

Ainsi, le soir de son élection, Nicolas Sarkozy se prélasse au Fouquet’s tandis que militants et sympathisants l’attendent place de la République. Joli clin d’œil de l’Histoire. «Fouquet’s», ça veut dire «Chez Fouquet». Et qui était Nicolas Fouquet? Le surintendant des Finances du jeune Louis XIV, un homme brillant, compétent et roué, mais si aveuglé de son importance, si âprement fasciné par le luxe et la richesse qu’il sacrifia bientôt le bien public à ses intérêts propres, le pays se retrouvant ruiné par les intérêts de sa dette tandis que lui-même amassait une fortune fabuleuse.

Que notre Nicolas à nous, le soir même de son élection, ait opté pour «Chez Fouquet» plutôt que de rejoindre la République, voilà qui disait déjà tout…

Plus récemment, je suis tombé sur un autre symbole.

Des partenariats sont mis en place depuis un an par l’Education nationale pour améliorer l’égalité des chances et faciliter l’accès aux hautes études d’enfants issus de milieux défavorisés. Une initiative plus que louable, et qui mérite largement d’être encouragée et développée. Savez-vous comment elle s’appelle?

«Les Cordées de la réussite».

Sait-on ce qu’est une cordée? C’est un terme d’alpinisme. Il désigne un groupe d’hommes réunis par une corde pour gravir à la force des bras une paroi rocheuse. C’est une image de solidarité et de difficulté vaincue dans l’effort, la sueur et la trouille.

Et savez-vous ce qu’est un ascenseur? Oui, évidemment.

Eh bien, voilà. En trente ans, la France a remplacé son ascenseur social par une cordée. Et il paraît que notre société progresse!

Né en 1933, mon père est un pur produit de l’élitisme républicain. Issu d’une famille fécampoise assez modeste, il n’avait guère pour horizon et ambition que la marine de pêche ou, au mieux, la marine marchande. Le système éducatif de l’après-guerre lui a permis, comme à des milliers d’autres enfants comme lui, d’être «repéré», guidé et, au final, d’intégrer l’école Polytechnique en 1956 et de faire une belle carrière d’ingénieur. Il a été de ces élites qui ont participé à la reconstruction de la France au long des «trente Glorieuses». Voilà ce que j’appelle de l’élitisme républicain. Voilà un ascenseur social.

Depuis une trentaine d’années, ce modèle est en complète déliquescence. En une ou deux générations, ceux que Bourdieu appelait «les héritiers» ont pris le pouvoir dans à peu près tous les domaines. En 1989, déjà, 84% des enfants d’enseignants et 81% des enfants de cadres supérieurs accédaient à l’enseignement supérieur, contre 43% des enfants d’ouvriers qualifiés, 36% des enfants d’ouvriers non qualifiés et 26% des enfants d’inactifs. Ça n’a pas dû s’arranger depuis… Partout, des dynasties s’installent. Dans le show-biz, les fils et filles de Depardieu, Hallyday, Higelin, Chedid, Dutronc et consorts sont nos nouvelles vedettes. Dans les affaires, les enfants Riboud, Giscard, Michelin, Pinault, Mulliez… dirigent certaines des plus grosses sociétés du pays, alors même qu’il ne s’agit pas forcément d’entreprises familiales. En politique, outre les filles de François Missoffe ou de Jacques Delors, on pourrait citer des dizaines de villes plus ou moins importantes où, comme à Puteaux, la mairie se transmet de père en fils ou en fille. Et là encore, Nicolas Sarkozy est le premier à donner l’exemple en poussant, de la manière la plus éhontée, la carrière politique de son godelureau de fils.

Le président de la République crachant ouvertement sur la notion d’élitisme républicain ! Et il n’aura fallu que quarante années pour passer de De Gaulle à ça!

Comment s’étonner alors d’une révolte croissante de la majorité des jeunes, et en particulier des jeunes les moins favorisés? Comment s’étonner qu’ils ne croient plus à la vertu de l’effort? Comment s’étonner que les « classes moyennes » se figent dans une sorte de résignation écœurée? Lorsque d’emblée les cartes semblent distribuées pour toujours, lorsque « la neige tombe toujours sur la neige », comment ne pas se sentir floué, battu d’avance… et révolté?

Je l’écris en conscience : en favorisant ouvertement la carrière de son fils, en jouant avec autant d’impudence le jeu du népotisme, Nicolas Sarkozy a fait plus pour l’explosion des banlieues qu’avec toutes ses formules les plus révoltantes sur le «Kärcher» et autres «racailles».

Et tandis que le président foule aux pieds l’un des principes les plus fondamentaux de la République, des anonymes, courageusement, tentent de redonner de l’espoir aux élèves qui veulent encore y croire, et du sens au mot «Egalité».

En organisant des cordées.


Ch. Romain
http://media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2008/97/9/cordees_38979.pdf

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