A vrai dire, cette affaire n’est pas bien claire. D’un côté, Roman Polanski reconnaît avoir eu, voilà trente ans, une relation sexuelle avec une mineure de treize ans. Elle affirme avoir été droguée et donc non-consentante. Lui reconnaît la relation mais nie le viol. C’est, pourrait-on dire, à la justice de trancher. De l’autre côté, une version circule qui affirme que le réalisateur aurait été «piégé» : la mère de la jeune fille aurait (je dis bien : aurait) plus ou moins organisé les choses pour pousser sa fille dans les bras de Polanski, qui aurait succombé à la tentation avant de se retrouver l’objet d’un chantage au viol. Là encore, c’est sans doute à la justice de trancher.
Notons bien que Polanski, dans cette affaire, est confronté à deux adversaires. D’une part, la famille de la jeune fille, qui réclame des dommages et intérêts, et d’autre part l’Etat, puisque son acte tombe sous le coup de la loi. Or la justice américaine, en l’occurrence, fonctionne de façon différente de la nôtre. Un prévenu peut accepter de transiger avec l’Etat pour voir sa peine allégée. Mais il doit pour cela accepter de plaider coupable. Et de plus, la transaction avec le procureur ne s’impose pas au juge. Polanski aurait (je dis bien : aurait) transigé pour une peine relativement légère, puis son avocat aurait senti que le juge risquait de se montrer beaucoup plus sévère que prévu et aurait conseillé à son client de quitter les USA.
Pendant trente ans, donc, notre réalisateur se tient à distance des Etats-Unis. Puis, il se rend à l’invitation d’un festival suisse et, au moment de repartir, est arrêté par la police helvétique. Incontestablement, le procédé manque d’élégance. Et on peut penser que le souci du gouvernement helvète de se refaire une virginité aux yeux des USA n’est pas absolument étranger à la démarche.
Tout cela compose donc un tableau relativement équilibré, dans lequel la culpabilité incontestable de Polanski (relation sexuelle avec mineure) se tempère de circonstances assez troubles (piège monté par la mère de la victime) et d’une façon de faire d’où la raison d’Etat n’est pas absente (attitude du gouvernement suisse). On pourrait donc tenter de «défendre» Polanski en s’appuyant là-dessus.
Ce qui me frappe, c’est que les arguments employés par ses «défenseurs» médiatiques n’ont pas du tout été ceux-là.
Les trois arguments que j’ai entendu employer sont «C’était il y a trente ans», «On ne traite pas un tel artiste comme ça !» et «Il est innocent».
Pour le premier, il est clair que, comme dirait Brassens, le temps ne fait rien à l’affaire. Il existe dans certains droits la notion de prescription ; ce n’est apparemment pas le cas pour la justice américaine en matière de crime sexuel. Après tout, quand tel ou tel criminel de guerre est jugé quarante ou cinquante ans après les faits, tout le monde s’en félicite. Sans comparer l’acte de Polanski à ceux d’un Papon, d’un Touvier ou d’un Eichmann, il faut bien admettre qu’on ne peut abolir le temps dans un cas et s’en prévaloir dans l’autre. Il y a là quelque chose d’illogique.
Pour le second argument, on pourra citer M. Lang demandant que «la liberté soit rendue à ce grand créateur européen» ou M. Kouchner qui, lundi 28 sur France-Inter, réprouvait l’arrestation de Polanski en évoquant «un homme d’un tel talent». Du talent considéré comme un droit à enfreindre la loi… On a connu notre ministre des Affaires étrangères un peu mieux inspiré. L’argument est tellement inepte qu’il ne mérite même pas d’être réfuté.
Enfin, nous avons des gens comme M. Costa-Gavras, lequel affirme de façon catégorique, lundi 28 sur Europe 1, que «Y ‘a pas de viol dans cette histoire». Sans doute tenait-il la bougie pendant que les choses se faisaient… Et comme preuve de son affirmation, il ajoute que si la jeune fille avait 13 ans, sur les photos, «elle en fait 25, donc il faut cesser de parler de viol». Apparemment, dans l’esprit de M. Costa-Gavras, il y a un âge au delà duquel la notion de viol perd son sens. Naufrage intellectuel d’un homme qui fut un bon réalisateur.
Tout cela pour dire que, si Roman Polanski mérite peut-être d’être défendu, ceux qui l’ont fait jusqu’à présent avec le plus de véhémence ont employé de fort mauvais arguments. Ce qui laisse à penser qu’ils l’ont fait par réflexe beaucoup plus que par réflexion. Par réflexe de caste. Ce qui est, d’un point de vue humain et politique, particulièrement stupide. Du reste, M. Le Pen et sa fille n’ont pas manqué de s’engouffrer dans la brèche, l’une dénonçant «une mobilisation abjecte» et l’autre, avec son habituel sens de la nuance, «le soutien apporté à un criminel pédophile». Ce faisant, l’un et l’autre adoptent la posture populiste qu’on pouvait attendre d’eux. C’est affligeant. Mais il faut bien avouer que MM. Lang, Kouchner, Costa-Gavras et consorts leur ont plus qu’abondamment servi la soupe.
Ch. Romain
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