samedi 20 juin 2009

Remettre l’humain au cœur du débat : un texte de G. K. Chesterton.

Le MoDem a placé l’humanisme au centre de ses valeurs. L’une des formules les plus fréquentes pour définir sa vision des choses, c’est : «Remettre l’humain au cœur du débat». Mais, nous demande-t-on parfois, qu’est-ce que cela signifie exactement ?

Pour ma part, je ne saurais mieux répondre qu’en faisant découvrir aux lecteurs de ce blog un texte de G. K. Chesterton. Le plus beau texte politique qu’il m’ait jamais été donné de lire.

G. K. Chesterton (1874 - 1936) fut un écrivain, poète, journaliste et polémiste anglais du début du XXème siècle. Doté d’un formidable appétit de vie et d’un grand sens de la fantaisie, roi du paradoxe et de la formule-choc, il a composé une œuvre faite de romans fantastiques, de biographies, d’essais, de nouvelles policières à signification symbolique… Politiquement, il désapprouvait les excès capitalistes et colonialistes de l’Angleterre victorienne (il critiqua avec virulence la guerre des Bœrs) tout autant que le dogmatisme étroit des socialistes de son temps. Profondément religieux, il a perçu avec une acuité prophétique les dangers du matérialisme, du relativisme moral, de la course à la productivité et du progrès pour le progrès. C’est ainsi qu’il se fit l’apôtre d’une doctrine appelée «distributisme». Troisième voie entre le capitalisme et le socialisme, cette doctrine ambitionnait de partir des besoins humains (parmi lesquels le besoin de posséder, donc la propriété) pour construire une société fondée sur une distribution juste des richesses.

Pour comprendre l’aspect «révolutionnaire» de cette doctrine, il faut se rappeler la condition misérable des ouvriers ou des petits agriculteurs dans l’Angleterre victorienne. Il faut se rappeler que c’est précisément en observant ces ouvriers que Marx, un demi-siècle plus tôt, avait commencé la rédaction du Capital.

G. K. Chesterton exprima sa recherche d’une «troisième voie» politique dans un livre publié en 1910 et intitulé What is wrong with the world (publié en français chez Gallimard sous le titre Ce qui cloche dans le monde). Renvoyant dos à dos conservateurs et socialistes britanniques, il y affirme la nécessité d’une vision politique fondée sur l’homme, ses besoins et ses aspirations.

Le livre s’achève par le texte que je voudrais faire partager.

Chesterton y fait référence à un projet de loi envisagé par le Parlement britannique. Une loi qui aurait obligé, par mesure d’hygiène, les personnes vivant dans des taudis à couper court les cheveux de leurs enfants, voire à les raser, afin d’éviter la prolifération des poux. Et voilà ce qu’il en dit :

«Voilà quelques temps, des savants et des gens que la loi autorise à régenter leurs concitoyens plus humbles ont promulgué un décret ordonnant que toutes les petites filles portent les cheveux courts. C’est-à-dire, bien sûr, toutes les petites filles pauvres. La raison en était que les pauvres sont empilés dans des taudis si crasseux et nauséabonds qu’on ne peut pas les autoriser à avoir des cheveux, de crainte que ces cheveux n’abritent des poux. Les savants ont donc décidé de supprimer les cheveux. Ils ne semblent pas avoir songé à supprimer les poux. (…) Et cela pourquoi ? Parce que le pauvre est tellement écrasé par ses loyers que sa femme doit travailler aussi. Ce qui fait qu’elle n’a pas le temps de veiller sur ses enfants, et qu’il arrive qu’un sur quarante d’entre eux ait des poux. Parce que l’ouvrier est exploité par son propriétaire, il doit accepter que la chevelure de sa fille soit d’abord négligée à cause de la pauvreté, ensuite contaminée à cause de la promiscuité et finalement rasée à cause de l’hygiène.

En vérité les choses éternelles, comme la chevelure, sont nos seuls points de repère pour apprécier la valeur de choses éphémères comme les empires. (…) Toutes les institutions doivent être jugées et condamnées selon leur plus ou moins bonne adaptation à la chair et à l’esprit de l’homme normal.

Nous devons tout reconstruire, tout de suite, en prenant les choses par l’autre bout. Je pars des cheveux d’une petite fille. Cela, je le sais, c’est une bonne chose, dans l’absolu. La fierté d’une mère devant la beauté de sa fille, c’est une bonne chose, dans l’absolu. C’est un sentiment impérissable, de toutes les époques et de toutes les races. Si d’autres choses sont contraires à cela, alors elles sont mauvaises et elle doivent être supprimées. Si les propriétaires, les lois et les sciences sont contraires à cela, alors les propriétaires, les lois et les sciences doivent être supprimés. Avec la chevelure de feu de cette petite fille, nous incendierons toute la civilisation moderne. Puisqu’une petite fille doit avoir de beaux cheveux longs, il faut que ces cheveux soient propres. Puisqu’elle doit avoir les cheveux propres, elle ne doit pas vivre dans une maison sale. Puisqu’elle ne doit pas vivre dans une maison sale, il faut que sa mère ait du temps. Puisque sa mère doit avoir du temps, il ne faut pas qu’elle soit victime d’un propriétaire usurier. Puisqu’elle ne doit pas avoir un propriétaire usurier, il faut redistribuer la propriété. Puisqu’il faut redistribuer la propriété, nous ferons une révolution.

Cette gamine aux cheveux de feu, on ne l’élaguera pas, on ne l’estropiera pas, on ne la tondra pas comme un forçat. Au contraire, tous les royaumes de la Terre devront être redécoupés à sa mesure. Sa mère peut lui ordonner de nouer ses cheveux, car c’est l’autorité naturelle ; mais l’Empereur de la Planète ne saurait lui ordonner de les raser. Elle est l’image sacrée de l’humanité. Les colonnes de la société seront ébranlées, les voûtes de l’époque crouleront, mais pas un cheveu de sa tête ne sera touché.»

Je ne sais pas très bien pourquoi, mais je suis toujours très ému en lisant ce texte. Et si je suis venu au MoDem, c’est en grande partie parce qu’il m’a semblé entendre, dans les discours de ses fondateurs, des échos à la voix de Chesterton.

Ch. Romain

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