mardi 22 décembre 2009

Nicolas Sarkozy, ou le manque symbolique.

Si on observe les grandes et petites démocraties du monde actuel, on y trouve presque à coup sûr, à la tête de l’exécutif, un couple symbolique. D’une part, une fonction «opérationnelle» de gestion des affaires ; d’autre part, une fonction symbolique d’unification et d’incarnation du pays.

Voyons par exemple les démocraties dans lesquelles a subsisté l’institution monarchique ou impériale : Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Danemark, Suède, Norvège, Hollande, Japon, Canada (dans une certaine mesure) et sans doute un certain nombre de pays asiatiques. J’excepte le Maroc, que je connais trop mal pour pouvoir juger si c’est réellement une démocratie. Dans ces pays, le pouvoir exécutif réel est détenu par l’un des ministres (appelé Premier ministre, ou Ministre d’Etat, ou peu importe) et ce pouvoir change de mains au gré des élections. Il est donc parfaitement admis que le Premier ministre en exercice, quel que soit par ailleurs son amour de la patrie, est bien le représentant d’un parti, d’une politique, d’une vision du monde qui par définition ne satisfont pas l’ensemble des citoyens. Ce Premier ministre est le représentant provisoire d’une proportion provisoirement majoritaire de la population ; mais il ne représente pas le pays et le peuple dans leur dimension symbolique d’unité nationale. La représentation symbolique de la Nation est confiée au roi, à la reine ou à l’empereur. C’est lui, c’est elle qui, dans les cas graves, prend la parole pour réaffirmer la nécessité première de conserver le pays «un et indivisible», de dépasser les intérêts particuliers pour retrouver le sens du collectif et de l’intérêt national.

Un exemple illustrera cela. Lorsque le Danemark fut occupé par les Nazis, le roi Christian X, âgé de soixante-dix ans, s’astreignit à faire tous les jours une promenade équestre dans la capitale pour se manifester aux yeux de son peuple. Et lorsqu’il fut question d’un décret obligeant les Juifs danois à porter l’étoile jaune, il menaça les autorités d’occupation d’être le premier à la porter si le décret était promulgué.

Dans la plupart des démocraties qui ne sont pas des monarchies constitutionnelles, on observe également que le pouvoir exécutif appartient au Premier ministre, tandis que le Président de la république se voit confier la partie symbolique du boulot. C’est par exemple le cas en Allemagne, en Italie, en Grèce, au Portugal, en Irlande… Il y a une exception : les USA. Chez eux, c’est vraiment le Président qui détient le pouvoir exécutif. La représentation symbolique, ils l’ont carrément confiée à Dieu, qu’ils ont mis sur leurs billets de banque sous la forme d’une pyramide héritée de la franc-maçonnerie en compagnie de la devise «In God we trust»

Et en France ? Eh bien, en France l’éphémère IIème, puis la IIIème et la IVème républiques firent comme les autres : la gestion de l’exécutif confiée au Président du conseil, et une fonction d’unité symbolique confiée au Président de la république (et matérialisée, sous la IVème, par son rôle de chef suprême des armées). Fonction symbolique qui n’allait d’ailleurs pas sans risque : c’est bien le Président de la république que l’anarchiste Caserio décida d’assassiner en 1894, et le semi-dément Gorguloff en 1932.

La Vème république inaugura une vision nouvelle. Conçue par un homme et pour un homme, elle confie au Président de la république à la fois un rôle symbolique fort et la maîtrise réelle de l’exécutif. Lui confiant tous les pouvoirs tout en le rendant inaccessible, elle fait du Président un véritable «monarque républicain».

Maîtrise de l’exécutif d’abord. Sauf en cas de cohabitation, le rôle de Premier ministre se borne, si l’on peut dire, à un travail harassant d’exécution et de coordination, sans véritable capacité d’initiative. C’est bien le Président qui, tout en se plaçant au-dessus des partis, inspire et guide la politique de la nation. Le Premier ministre joue un rôle de fusible : le Président en change lorsqu’il s’agit pour lui de marquer une évolution politique ou de donner des gages à l’opinion (remplacement de Mauroy par Fabius en 1984, ou de Cresson par Bérégovoy en 1992). En politique intérieure comme en politique extérieure, rien ne se fait sous la Vème qui n’émane de l’Elysée.

Fonction symbolique ensuite. Une fois élu, le Président doit se placer au-dessus des partis et incarner la nation tout entière. Sa légitimité émane du suffrage universel, cette rencontre d’un homme avec un peuple, et elle est régulièrement retrempée par des référendums dont l’objet formel n’a que peut d’importance. Ainsi, en 1969, de Gaulle démissionna à la suite de l ‘échec du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat ; référendum dont la vraie question, parfaitement entendue par les citoyens comme par la classe politique, était : «Voulez-vous encore du général de Gaulle ?». Cette fonction symbolique doit l’amener à arbitrer, à intervenir en cas de crise par des mots forts et fédérateurs et, parfois, à trancher contre son propre camp d’origine en changeant de Premier ministre (remplacement de Raffarin par Villepin en 1995). Enfin, la fonction symbolique impose une certaine forme de dignité et de retenue. Il faut marier la pédagogie et la majesté, la proximité et la distance. Exigence paradoxale, qu’un Mitterrand maîtrisait particulièrement bien.

Or, depuis son accession au pouvoir, Nicolas Sarkozy semble avoir complètement fait l’impasse sur cette dimension symbolique de la fonction présidentielle. Revendiquant par un discours très personnel l’exercice et la responsabilité du pouvoir, il s’est mis en première ligne et a complètement effacé son Premier ministre. Ce faisant, il s’est positionné comme chef de la majorité, rôle qu’il assume d’ailleurs sans complexe, en réunissant à l’Elysée les barons UMP ou en brocardant dans un discours les responsables du PS. Le résultat, c’est qu’il apparaît, non comme l’incarnation de la nation, mais comme l’élu d’un camp contre un autre. Quand à la dignité de la fonction, c’est peu de dire qu’il ne s’en soucie pas trop.

Observez d’ailleurs comment on se moque de Nicolas Sarkozy. Mitterrand était surnommé «Dieu» ou «Tonton», ce qui impliquait chaque fois une relation verticale, de cadet à aîné. Chirac était moqué avec une certaine forme de sympathie à la fois familière et respectueuse, un peu comme un grand frère. Pour la première fois, avec Nicolas Sarkozy, le président est moqué comme un sale gamin, une espèce de Billy-the-Kid capricieux et remuant. La relation peuple-président est toujours verticale, mais dans l’autre sens. De haut en bas.

Aussi, symboliquement, le pays n’a plus de père. Et donc, dirait Lacan, plus de re-père. Autant la droite se fédère derrière un leader affirmé, assumé et reconnu, autant la gauche s’égaille en ordre dispersé. Quant aux citoyens, ils se replient sur eux-mêmes et sentent croître leur méfiance face à un corps social dont ils se sentent de moins en moins partie prenante. Ce n’est pas un hasard si, au delà des combines politiciennes, le gouvernement a senti le besoin d’un débat sur l’identité nationale. La fonction de représentation collective n’étant plus assumée, il faut d’une façon ou d’une autre réaffirmer l’existence de la nation. Malheureusement, ce débat n’est pas la bonne façon de faire.

Que faire, alors ? Faire entendre à nouveau une parole nationale. Il faut qu’un tribun reconnu prenne la parole au nom de la collectivité, parle au nom de l’intérêt public, propose la voie d’un salut collectif. Il faut qu’un homme ou une femme se fasse le héraut symbolique de la nation. Nicolas Sarkozy devrait être cet homme ; ce serait son rôle. Mais il est peut-être déjà trop tard. Ségolène Royal pourrait être cette femme mais, usée par les interventions hors de propos, elle ne dispose peut-être plus de la légitimité personnelle nécessaire. François Bayrou, enfin, pourrait être cet homme-là. Il en a la légitimité et le souffle. C’est à lui de saisir l’occasion. S’il ne le fait pas très vite, un autre ou une autre le fera à sa place.



Christian ROMAIN

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