dimanche 6 décembre 2009

Comment fonctionne une élection régionale ?


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Petit à petit, les élections régionales de mars 2010 deviennent un sujet d’actualité. C’est donc le moment de se poser la question : comment fonctionnent ces fameuses élections ? En effet, le mode de répartition des sièges au sein du conseil obéit à des règles pas forcément très évidentes. Et si l’on veut faire des pronostics, il faut d’abord connaître lesdites règles. Voyons donc ça de plus près…

Nous retiendrons quatre principes :
- le scrutin est un scrutin de liste par département ;
- c’est un scrutin à deux tours avec élimination des «petites» listes au premier ;
- le décompte des sièges se fait à l’échelle régionale avec une prime au premier ;
- la répartition des sièges se fait département par département.


1 – Un scrutin de liste par département.
Une région est composée de départements. Le conseil régional compte un certain nombre de sièges à pourvoir, et ces sièges sont répartis par département au prorata du poids électoral de chaque département dans la région. Ainsi, le CR d’Ile-de-France compte 209 sièges à pourvoir au total pour les huit départements qui constituent la région : 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94 et 95. Paris, qui représente 18 à 20% de l’électorat francilien, en a 41. Le département 92 (Hauts-de-Seine) qui représente entre 13 et 14% du poids électoral de la région Ile-de-France, en a pour sa part 28. La Seine-Saint-Denis (93), qui possède à peu près autant d'habitants que les Hauts-de-Seine, n'en a que 20 car son poids électoral est moindre.

Ainsi, pour présenter une liste dans une région, il faut présenter dans chaque département une «sous-liste» comprenant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir. Les électeurs devront choisir entre des listes comportant uniquement les noms des candidats dans leur département. Ainsi, les Parisiens choisiront entre différentes listes comptant chacune 41 noms ; les Altosequanais entre des listes comptant chacune 28 noms, et ainsi de suite…


2 – Un scrutin à deux tours avec élimination.
A l’issue du premier tour, le décompte des votes se fait à l’échelon régional. Les listes sont classées en trois groupes :
- celles qui ont obtenu moins de 5% des voix ne peuvent ni se maintenir, ni fusionner ;
- celles qui ont obtenues entre 5 et 10% des voix peuvent fusionner avec une autre liste pour se présenter en commun au second tour ;
- celles qui ont obtenu plus de 10% des voix sont qualifiées pour le second tour (et elles peuvent, si elles le souhaitent, fusionner avec d’autres listes).

Insistons bien : le décompte se fait à l’échelle régionale. C’est-à-dire qu’une liste peut tout à fait obtenir moins de 5% dans un département, mais faire plus de 5% dans la région si ses résultats dans les autres départements compensent sa mauvaise performance locale. Dans un tel cas, la liste en question sera autorisée à fusionner.

Accessoirement, les listes éliminées à l’issue du premier tour n’ont pas droit au remboursement de leurs frais de campagne.


3 – Un décompte des sièges à l’échelle régionale avec prime majoritaire.
Entre les deux tours, les listes à plus de 5% peuvent fusionner ou se maintenir en l’état.
Une fusion de liste consiste à agglomérer les candidats de différents partis sur une seule liste. Ces candidats devaient déjà figurer sur l’une des listes au premier tour, mais l’établissement des listes fusionnées est assez libre : le nom de la liste et son ordre peuvent être modifiés. Une personne candidate au premier tour dans un département peut, après fusion, être candidate dans un autre département de la même région.

A l’issue du second tour, le décompte des voix est fait à l’échelle régionale. Le nombre de sièges par liste est alors calculé de la façon suivante :
- la liste arrivée en tête se voit attribuer d’emblée 25% du total des sièges à pourvoir ;
- les 75 % restants sont partagés entre toutes les listes (y compris celle arrivée en tête) au prorata des résultats obtenus à l’échelle régionale.

Par exemple, supposons qu’à l’issue du second tour en Ile-de-France, trois listes A, B et C aient obtenu respectivement 47%, 32% et 21% des voix à l’échelle régionale.

Il y a 209 sièges à pourvoir. La liste A va commencer par recevoir 25% de 209 sièges, soit 53 sièges, (on arrondit à l’unité supérieure). Puis, on va partager les 156 sièges restants. La liste A en recevra 156 x 47% = 73. La liste B en recevra 156 x 32% = 50. La liste C en recevra 156 x 21% = 33.

Au final, la liste A recevra donc un total de 73 + 53 = 126 sièges ; la liste B en aura 50 et la liste C en aura 33, ce qui fait bien 209 sièges en tout.



4 – Une répartition des sièges département par département.
Maintenant que l’on sait à combien de sièges chaque liste a droit, il reste à déterminer comment ces sièges vont être répartis par département.

Pour cela, chaque liste va regarder quel poids chacun des départements aura pesé dans son résultat régional. Et elle va affecter ses sièges par département au prorata de ce poids.

Par exemple, nous avons vu que la liste C a obtenu 21% des voix au second tour et a donc droit à 33 sièges. Supposons que cette liste ait réalisé un score particulièrement élevé en Seine-Saint-Denis, de sorte que ce département représente 24% du total de ses voix. Elle attribuera alors 24% de 33, soit 8 sièges à la Seine-Saint-Denis. Les huit premiers candidats de la liste C dans le 93 seront donc élus. Si par contre les Hauts-de-Seine n’ont pesé que 8% de son résultat régional, il y aura 33 x 8% = 3 sièges pour ce département, et seuls les trois premiers candidats de la liste C dans le 92 siègeront au conseil régional.


5 –Petit exercice d’application.
En admettant que les résultats des élections régionales de mars 2010 reproduisent ceux des Européennes, tempérés par les récents sondages, on aurait les chiffres suivants


Résultats IDF

Résultats 92

UMP-NC (liste unique)

33 %

37 %

PS

20 %

19 %

Europe Ecologie

21 %

21 %

MoDem

6 %

6 %

Front de gauche

6 %

7 %

Front national

8 %

8 %

Autres listes

N. S.

N. S.


A l’issue de ce premier tour, on admet (pour les besoins de la cause) que les listes EE et PS fusionnent avec le MoDem, tandis que Front de Gauche et front National se retrouvent sur la touche, ne pouvant ni fusionner, ni se maintenir.

Le deuxième tour a donc lieu, et donne les résultats suivants :


Résultats IDF

Résultats 92

UMP – NC

47 %

50 %

PS – EE – MoDem

53 %

50 %



Questions : à l’issue de ces résultats, de combien de sièges disposerait chacune des deux listes ? Et combien de candidats MoDem du 92 se retrouveraient-ils élus ?

Réponses : sur les 209 sièges, la gauche en recevrait d’emblée 53 (prime majoritaire de 25%) puis 53% des 156 restants, soit 83. Elle occuperait donc en tout 136 sièges, contre 73 pour la droite.

Pour répondre à la seconde question, il faudrait connaître exactement le poids du 92 dans le résultat final, et surtout la façon dont les candidats MoDem du 92 auraient été placés sur la liste de second tour. Admettons que le 92, plutôt à droite, n’ait pesé que pour 9% dans le score final de la gauche. Il a donc droit à 12 sièges, soit 9% de 136. Ce sont donc les douze premiers candidats de la liste fusionnée des Hauts-de-Seine qui siègeront au conseil régional. Si l’un des candidats MoDem du premier tour figure parmi ces douze, il sera élu. Sinon, le MoDem n’aura aucun élu dans le 92.



La conclusion pratique de ces petits calculs, c’est la relative vanité des luttes auxquelles d’aucun peuvent se livrer au sein du MoDem 92 (ou d'ailleurs) pour obtenir d’être troisième, quatrième ou cinquième de liste. Il est clair que, dans les conditions actuelles, pour ce qui est du MoDem, seul le premier de liste départementale aura une chance d’être élu. Et encore… N’oublions pas qu’un candidat peut changer de département entre les deux tours, à l’occasion d’une fusion de liste. Un quelconque apparatchik soucieux de sauver son mandat aurait donc tôt fait de se faire bombarder dans les dix premiers d’un département pas trop encombré. Dans une telle configuration, le pouvoir appartiendra tout entier à celui ou celle qui aura reçu mandat d’élaborer ou de négocier les listes de fusion…

Au fait, inutile d'apprendre ces règles par cœur. La réforme des collectivités territoriales instaurera à partir de 2012 une nouvelle forme d'assemblée mêlant les conseils régional et général. Il est donc très probable que les modalités de l'élection seront elles aussi modifiées.




Christian Romain

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4 commentaires:

Orange pressé a dit…

Excellent article qui explique clairement le mode de scrutin de ces élections régionales. Quoique trop centré sur l'exemple francilien, l'article vulgarise un mode de scrutin difficilement perceptible par les citoyens comme par les militants. Continuez !

Démocratie nanterrienne a dit…

C'est gentil, ce commentaire, même si ça ressemble un peu à l'annotation d'un prof sur une copie (déformation professionnelle, peut-être). Merci.


Ch. Romain

ego a dit…

et bien, je trouve cette présentation remarquable dans sa pédagogie et suis bien d'accord avec le 1er commentateur sur le peu de clarté du mode électif pour le citoyen honnête et donc de piètre démocratie !
J'apprécie aussi cette remarque sur la vanité de luttes fratricides alors qu'il y a tant d'aléas dans les résultats concrets.
allez, juste pour boucler avec un sujet à la mode : ce n'est pas de débat sur l'identité nationale dont notre société a besoin, mais sur l'intégrité nationale (cf.Marianne). C'est aussi valable pour la préparation de cette élection. Merci à vous, Monsieur Romain.

florent a dit…

Merci pour ces explications qui éclairent (un peu) ma lanterne.

NB/ les nouvelles règles (qui elles seront carrément anti-démocratiques au demeurant), ce n'est pas plutôt pour 2014 ?