mardi 26 janvier 2010

Ne croyez jamais la Presse généraliste !

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On me demande parfois pourquoi je suis si négatif lorsque j’évoque les journalistes. De fait, je les considère globalement (il y a toujours des exceptions, bien sûr) comme incompétents, paresseux, incultes et moutonniers. Bref, totalement incapables de fournir désormais une information fiable et de qualité.

Je parle ici des journalistes «généralistes». Les journalistes spécialisés (sport, économie, armement, distribution, science, etc.) qui écrivent dans les revues professionnelles ou, justement, spécialisées, sont en général des gens de qualité. Ce qui n’est définitivement pas le cas de l’immense majorité de la presse quotidienne, des news-magazines, de la radio ou de la télé.

Hier lundi 25, à 17h, j’écoute France-Info. Reportage sur les clandestins kurdes récemment débarqués en Corse. Je cite : «104 des 123 réfugiés sont désormais libres. Les 9 derniers… ». Si les mots ont un sens ; cela signifie que 104 + 9 = 123. Il en manque dix. Donc, soit le rédacteur ne sait pas écrire, soit il ne sait pas compter. Dans les deux cas, c’est une faute professionnelle. D’autant que, j’imagine, un texte n’atterrit pas à l’antenne comme ça, au petit bonheur, même à France-Info. Il doit être lu et relu par plusieurs personnes. Dont aucune n’a été fichue de relever l’ineptie contenue dans l’article.

Je me souviens que, en juillet 2007, le secrétariat d’Etat à la sécurité routière a communiqué les chiffres des tués sur les routes de façon un peu triomphaliste : -11,5% de morts. Jean-Louis Borloo lui-même a annoncé cette baisse. Il a aussi donné les chiffres : 4709 morts en 2006 contre 4975 en 2005. Ceux qui savent calculer se rendront vite compte que la baisse est de 266 morts, soit un pourcentage de 266/4975 = 5,4%. On peut tournicoter les chiffres comme on veut, impossible d’obtenir ce -11,5%. Vous croyez que ça a gêné les journalistes ? Pensez vous ! Ils ont tous répercuté le communiqué comme un seul homme, sans se poser la moindre question. Pour ceux qui ne me croiraient pas, c’est là : http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-route-a-moins-tue-en-2006_465510.html Vous me direz que le premier fautif, c’est l’énarque de service responsable du communiqué et infoutu de se servir correctement de sa calculette. Possible… Mais est-il normal que pas un journaliste n’ait cherché à refaire le calcul, ou ait même senti qu’il y avait une bizarrerie dans les chiffres ?

Le plus rigolo, c’est quand on voit une ineptie se propager. Car tous ces messieurs-dames de la Presse se copient les uns les autres sans la moindre vergogne, et se chipent volontiers le petit détail qui fait branché ou qui donne l’illusion que l’auteur est au courant. Ainsi, lorsque Le Roi Lion, le dessin animé des studios Disney, est sorti au cinéma, ça fait quand même pas loin de quinze ans, un journaleux a écrit que l’histoire était inspirée du Roi Lear, de Shakespeare. Je suppose qu’il avait lu dans un article US que l’histoire s’inspirait de Shakespeare et que, emportée par l’euphonie «Roi Lion / Roi Lear», son imagination avait fait le reste. Eh bien, je me souviens d’avoir retrouvé cette sottise dans plus des deux tiers des articles qui rendaient compte du film ! Sottise, parce que, si vraiment Le Roi Lion était inspiré d’une pièce de Shakespeare, ce serait plutôt Hamlet : un roi assassiné par son frère et trahi par sa veuve, et dont le fantôme demande à son fils de le venger… Mais peut-on vraiment demander à un journaliste de connaître l’histoire de Hamlet ou celle du roi Lear (un roi vieillissant qui partage son royaume entre ses trois filles) ? C’est déjà bien assez beau s’il écrit sans faire trop de fautes de français.

Et le plus bel exemple, pour finir. Lorsque Georges Besse, le patron de Renault, fut assassiné en 1986 par le groupe Action Directe, les assassins lui volèrent sa mallette de cuir. Plusieurs mois plus tard, quand la bande fut retrouvée et arrêtée dans une maison de campagne du Loiret, on apprit que l’une des filles, Nathalie Ménigon, élevait des hamsters et qu’elle leur avait donné à manger le cuir de la mallette. L’image fit florès. Sans qu’aucun journaliste, à aucun moment, ne s’offusque de la stupidité de «l’information», les hamsters bouffeurs de mallette devinrent un passage obligé de tout reportage sur le sujet. Quelques années plus tard, au moment du procès de la bande, la presse évoquait encore «Madame Besse, digne et grave, qui a peut-être encore en tête le souvenir de la mallette qu’elle avait offerte à son mari, et que l’un des assassins a fait manger par ses hamsters.» (je cite de mémoire). Vous trouvez cette histoire de hamsters débile ? Invraisemblable ? C’est que vous êtes plus exigeant, sur le plan intellectuel, que le journaliste de base. Seul Le Monde, trois jours après ses premiers articles, faisait amende honorable et donnait le fin mot de l’affaire dans son édition du 25 février 1987 : «Le Monde, comme d'autres organes de presse, avait repris dans ses éditions du 24 février l'information d'agences de presse selon laquelle Nathalie Ménigon donnait des lambeaux de la serviette en cuir de Georges Besse (...) à ronger aux hamsters qu'elle affectionne tant. Information qui ajoutait au mythe sinistre, mais était, en fait, erronée. Les confidences policières recueillies par nos confrères précisaient, en réalité, qu'elle avait fabriqué un holster - étui d'arme à poing - avec ladite serviette. Holster, hamster, la consonance des mots et le goût du sensationnel ont fait le reste». La consonance des mots et le goût du sensationnel, tout est dit.

Ces exemples au fil du temps pour illustrer un propos simple : l’information que nous recevons est tronquée, déformée et amputée par ceux-là même qui devraient veiller à sa qualité, parce qu’ils sont massivement incapables de le faire et parce que leurs conditions de travail ne le leur permettent pas. C’est au point que ça devient un jeu. Si un sujet que vous connaissez bien devient sujet d’actualité, amusez-vous à collectionner les inexactitudes, les approximations ou les foutaises que vous allez entendre à la télé et à la radio, ou que vous allez lire dans la presse. Et ensuite, songez qu’il y en a probablement autant de proférées ou d’écrites sur les sujets que vous ne connaissez pas.

Ça donne très vite la manie de faire des vérifications systématiques…

Christian Romain


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1 commentaire:

florent a dit…

Exactement. (et la presse spécialisée, notamment scientifique ou économique, n'est pas épargnée)