dimanche 2 août 2009

Un petit moment d’agacement à propos de la «taxe carbone»

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M. Rocard a laissé récemment filtrer quelques informations à propos de sa «taxe carbone». On n’est pas déçus…

Ceux qui ont connu la politique des années 70-80 se souviendront peut-être que Michel Rocard était réputé pour la complexité de ses analyses comme de son élocution. On ne comprenait rien à ce qu’il racontait, tant c’était tordu et filandreux. Avec la taxe carbone, j’ai eu l’impression de retrouver du grand Rocard, façon PSU mâtiné Inspection des Finances. En gros, tout le monde va payer, puis on rendra de l’argent à tous ceux dont on aura calculé qu’ils ont trop besoin d’énergie pour devoir être assujettis à la taxe, ou trop pauvres pour devoir supporter une charge supplémentaire. Incidemment, on aura créé deux populations de fonctionnaires, l’une pour calculer et percevoir la taxe, l’autre pour la rembourser. Et encore, je simplifie. Un délire d’énarque à la retraite…

Mais ce n’est pas, me semble-t-il, le plus agaçant. Le plus agaçant, c’est la façon dont la préoccupation écologique, d'une façon générale, est à la fois mise à toutes les sauces et globalement dévoyée. Car si nous sommes effectivement envahis par le discours écologique, si certains tentent sincèrement et honnêtement de faire bouger les choses, il y a néanmoins une formidable hypocrisie dans ce discours ambiant sur l’écologie et les efforts anti-pollution. En effet, au-delà des bla-bla publicitaires ou officiels, la réalité se résume en deux points :


a) notre société, malgré tout ce qu’elle affirme, ne veut pas polluer moins ni gaspiller moins ;

b) l’écologie est, pour l’essentiel, l'alibi d'une démarche dont la seule finalité est de continuer à produire et à vendre.

Démonstration.

a) Quelques exemples vécus.


Ex. 1 : Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de travailler dans la mouvance de Total. C’était au moment du naufrage de l’Amoco Cadiz. Grosse marée noire, gros scandale, grosse émotion, grosse tempête médiatique. Les Français condamnant Total comme un seul homme. Evocation d’un boycott de Total. Au final, pas 1 centime de perdu à la pompe. Total a le plus gros parc français de stations-service et les Français aiment rouler. Alors, l’Amoco Cadiz, hein…

Ex. 2 : D’un côté, nous ramassons et recyclons religieusement le moindre bout de plastique, le plus petit débris de verre et le dernier morceau de carton, ce qui transforme les locaux à poubelles en véritables parcs de stationnement à containers multicolores. Mais de l’autre, nous achetons frénétiquement (d’autant que nous n’avons plus guère le choix) des objets jetables qui fonctionnent sur le principe du maillon faible et génèrent un gaspillage aussi hallucinant qu’inaperçu. Par exemple, quand nous jetons un briquet vide, nous jetons un contenant, une molette, une pierre qui auraient tous trois pu servir encore de nombreuses fois. Quand nous jetons une lampe-torche jetable pour cause de pile usée, nous jetons une ampoule en parfait état de marche et des fils de cuivre qui le sont tout autant. Quand nous jetons un appareil-photo jetable, nous jetons un dispositif optique complet qui ne demandait qu’à resservir. Vous en connaissez beaucoup que ça émeut ?

Ex. 3 : Alors que le discours écologique bat son plein, on assiste à la multiplication de gadgets tout aussi inutiles que bouffeurs d’énergie. Le dernier en date que j’ai vu, c’est un moulin à poivre “design” qui moud le poivre électriquement (ça évite l’effort surhumain de tourner le moulin soi-même au-dessus de son steak) et qui, comble de chic, éclaire l’endroit où le poivre tombe (c’est sans doute conçu pour les parkinsoniens myopes…). J’ai aussi noté la multiplication récente, dans les toilettes des restaurants ou des aéroports, d’un distributeur d’essuie-main en papier équipé d’une cellule photoélectrique et d’un moteur électrique, de sorte que lorsque vous approchez la main, l’appareil vous amène automatiquement le morceau de papier au bout des doigts, vous évitant ainsi la fatigue de le tirer vous-même. Toutes ces stupidités technologiques croissent et embellissent aussi vite que les déclarations sur la protection de la planète. Et elles trouvent preneurs.

Ex. 4 : Celui-là, nous le connaissons tous. C’est l’abominable fourbi qui, dans toutes les communes y compris les plus “vertes” a remplacé le bon vieux balai à feuilles mortes. Je veux parler de ce bouzin de 12 à 15 kilos qui fait un ramdam d’enfer en soufflant les feuilles et qui doit bien consommer, en vitesse de croisière, l’équivalent d’une ou deux tronçonneuses. Entre les 40 000 communes de France, les stades, les espaces publics et autres pelouses, le mec qui a inventé ça a dû, rien qu’en France, en installer plusieurs dizaines de milliers. Je ne sais pas si le rendement est franchement meilleur que celui d’un râteau, mais à coup sûr les oreilles des employés municipaux et les dépenses en énergie des mairies ont dû en prendre un sacré coup.

Ex. 5 : La façon dont EDF vient d’obtenir gain de cause et va se faire rembourser son “manque à gagner” par le fabricant d’un bidule qui permet d’économiser l’énergie électrique (vous trouverez plus de détails ICI).

Ex. 6 : Je connais un fonctionnaire international qui travaille depuis plusieurs années dans je ne sais quel organisme bien payé et exempté d’impôts sur les questions relatives au climat et à l’effet de serre. Il y a huit jours, lui et ses onze collègues ont pris l’avion pour se rendre à Washington, avec retour dans la journée, pour une réunion qui a duré deux heures. C’était une réunion importante, n’est-ce pas ? Ils devaient absolument y aller tous et il était impensable de recourir à la vidéo-conférence. Et ça, ça arrive tous les jours…

Ces exemples, et je pourrais en citer d’autres, montrent que, dans la réalité concrète, les comportements de notre société ne sont orientés, ni vers la décroissance, ni vers l’économie d’énergie.


b) La phrase la plus définitive que j’ai jamais entendue sur l’écologie a été prononcée par Robert Escarpit dans le milieu des années 70, quand la première crise énergétique a d’un coup mis le truc à la mode. Escarpit a dit ceci : “L’écologie a un formidable avenir devant elle, car c’est le moyen pour le capitalisme de faire de l’argent en réparant les dégâts qu’il a lui-même causés.” C’est visionnaire et définitif. Seul bémol, je remplacerais “en réparant” par “en faisant mine de réparer”. Car de fait, là comme partout ailleurs, le capitalisme se soucie bien moins de réalité que de spectacle. La question n’est pas de véritablement avoir une démarche ou un impact écologique, elle est de vendre avec un alibi écologique (ou bio, d’ailleurs, c’est le même principe).

C’est ainsi que la filière d’œufs bio française va être mise à genoux par les accords commerciaux passés l’an dernier et qui autorisent la vente en France, sous label “Bio”, d’œufs allemands produits dans des conditions nettement moins exigeantes.

C’est ainsi que tout en défendant bec et ongles le principe de la taxe carbone (il faut protéger la planète, n’est-ce pas ?), le gouvernement français travaille à élargir les possibilités de culture OGM en plein air, au mépris de toutes les précautions concernant les risques de prolifération.

C’est ainsi qu’on pourrait s’interroger et même enquêter sur le mode de fabrication des cosmétiques à marque “Ushuaïa” que l’on trouve en grandes surfaces dans leurs jolis flacons en plastique multicolores. Ils ne sont certainement pas plus polluants que les autres ; je serais surpris qu’ils le soient moins.

Sans oublier, last but not least, le plus bel exemple de foutage de gueule “écologique” de ces quinze dernières années. Je veux parler du formidable tour de passe-passe tenté et réussi par MM. Leclerc, Auchan, Carrefour et consort qui du jour au lendemain, au nom de l’écologie, ont réussi à rendre payants les sacs plastiques qu’ils offraient jusqu’alors à leurs clients ! Je ne sais pas combien coûte un sac, mais non seulement ils ont supprimé le coût pour eux, mais en plus ils doivent faire une marge dessus. Et tout ça au nom de l’environnement. Chapeau, les artistes ! Ça, c’est de l’entubage !

Si demain il devient plus coûteux pour les entreprises françaises de produire à cause de la taxe carbone, elles augmenteront leur prix, ou elles se rattraperont sur la qualité, ou elles délocaliseront. Et si elles délocalisent, ce sera pour polluer à l'étranger et rajouter à la pollution celle générée par le transport des marchandises produites dans les usines délocalisées. On voit le gain écologique... Idem avec les produits importés : si il y a demain une taxe sur les produits venant des pays pollueurs, c’est au final le consommateur qui paiera. A moins que, le consommateur refusant de payer, la pression ne se reporte en amont sur les coûts de main-d’œuvre. Vous savez, ces salaires asiatiques qui se calculent en centimes d’Euro par jour…

Bref, je suis un peu sceptique sur la taxe carbone en particulier et sur l’avenir de l’écologie en général…

Excusez-moi, je me suis un peu lâché. C’était mon quart d’heure d’amertume.

D’ailleurs, je précise que ce texte n’engage que moi. Les autres personnes collaborant à ce blog sont peut-être d’un avis totalement opposé.

Ch. Romain

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