Bref, on retrouve une fois encore le classique réflexe des «élites» auquel un résultat électoral ne convient pas. Un réflexe que l’on a vu à l’œuvre, par exemple, lors du référendum sur la constitution européenne ou le 21 avril 2002 : «Allons bon, le peuple s’est encore trompé !». Dans un tel cas, les avis autorisés ne manquent jamais pour expliquer que ce peuple décidément indécrottable a cédé soit à des basses pulsions émotionnelles, soit aux sirènes populistes, soit les deux. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui, lorsque le résultat leur convient, sont unanimes à louer la «clairvoyance» ou la «formidable intelligence collective» du bon populo. Simple question d’occasion, en somme.
Au passage, on notera que depuis quelques années beaucoup de référendums (référenda, en bon latin) sont devenus des mascarades, puisqu’un «mauvais» résultat se solde par un nouveau vote quelques mois plus tard ; alors qu’un «bon» résultat est considéré comme définitivement acquis. D'ailleurs, ça n'a pas raté : Bernard Kouchner a exprimé le souhait que les Suisses «reviendront assez vite sur cette décision». Et après, on se demandera pourquoi les citoyens expriment le sentiment que les élections sont en partie un vaste foutage de gueule…
Bref, une majorité de Suisses ne souhaite pas voir de minarets pousser sur leur sol. Faut-il y voir pour autant du racisme, de la xénophobie et tutti quanti ? Pour une fraction de l’électorat, certainement. La question a été posée à l’instigation d’un parti d’extrême-droite, et la campagne électorale dudit parti ne faisait pas dans la nuance. C'était même assez infâme. Mais 57,5% de Suisses seraient-ils xénophobes et racistes ? Cela ferait quand même beaucoup.
Je ne sais pas comment les musulmans sont perçus en Suisse, ni comment ils se comportent. Mais si c’est pareil qu’en France, j’avoue que je comprends les Suisses.
Qu’on m’entende bien. Evidemment, l’immense majorité des musulmans concilient sans problème leur pratique religieuse et leur citoyenneté. C’est d’ailleurs la moindre des choses. Je n’ai jamais entendu personne s’extasier à l’idée qu’un catholique, un juif, un hindou ou un bouddhiste réussisse à concilier religion et citoyenneté, et je ne vois pas pourquoi ce qui va de soi pour les autres religions devrait être regardé comme un exploit dès qu’on parle de l’islam. Mais il faut bien reconnaître qu’une fraction minime mais très visible des musulmans émet des exigences qui commencent à fortement lasser le citoyen de base. Revendications sur le sexe des médecins, sur les menus des collectivités, sur les horaires des piscines, sur le port du voile… Il faut bien avouer que seuls les musulmans – enfin, une fraction d’entre eux – émettent ce genre d’exigence. Et qu’à force, l’agacement finit par poindre.
Je suis le premier à exiger des lieux de culte décents pour les musulmans comme pour les fidèles d’autres religions. Je l’ai dit, écrit et publié depuis plus de quinze ans. Mais quant aux minarets, ma réponse aurait été négative. Non pas pour le minaret en soi, dès lors qu’on m’affirme qu’il ne servira que pour faire joli et non pour appeler à la prière, à coups de haut-parleurs, cinq à six fois par jour. Mais pour manifester mon agacement. Juste mon agacement.
Il y a de cela quelques années, je fréquentais une sorte de centre de séminaires où des fidèles de toutes religions se retrouvaient régulièrement dans une atmosphère de syncrétisme et de spiritualité. Par symbolique et par ouverture d’esprit, le créateur du centre fit aménager, dans trois pièces contiguës, trois lieux de culte : une chapelle chrétienne, une salle de méditation judaïque et une mosquée. Chacun de ces trois lieux, le même jour, fut consacré par respectivement un évêque, un rabbin et un imam. A l’entrée de la mosquée, une fontaine rituelle pour les ablutions. Et, à la demande de l’imam, un panneau mentionnant que les non-musulmans ne devaient pas toucher à cette eau. J’avoue que je l’avais assez mal vécu.
Et je n’ai pas l’impression que les choses aillent en s’assouplissant, au contraire. Ainsi, je connais depuis quatre ou cinq ans une jeune femme française d’origine maghrébine, parfaitement intégrée. Mariée et mère de deux enfants, elle s’habille à l’occidentale, travaille dans une administration, est élue au conseil municipal de sa (grande) ville et s’investit beaucoup dans des activités associatives, notamment la LDH. Depuis le temps que nous nous connaissons, nous nous sommes toujours fait la bise. Sauf la dernière fois. Quand je me suis penché vers elle, elle s’est reculée vivement. La grippe ? Non. Elle a décidé qu’elle ne ferait désormais plus la bise aux hommes. Là non plus, je ne l’ai pas très bien vécu. J’ai interrogé les élus de son groupe, qui la connaissent mieux que moi et la côtoient fréquemment. Beaucoup se disent inquiets. Ils ne savent pas si c’est une évolution personnelle ou le fruit d’un compromis avec son mari, mais ils constatent une réelle radicalisation.
Ces deux exemples pour dire que je comprends le message que les Suisses ont peut-être voulu faire passer. Qu’il y ait un amalgame absurde entre musulmans et islamistes, c’est indéniable. Que l’image de l’islam dans les pays occidentaux ne soit pas extraordinairement positive, c’est assez évident. Mais qu’il y ait un durcissement et une fermeture de l’islam, qu’une fraction particulièrement activiste des musulmans émette de façon spectaculaire ou plus discrète des revendications irrecevables dans notre république, c’est tout aussi indéniable.
Or, on constate que les responsables politiques ne savent pas gérer cette situation. Par opportunisme ou par angélisme, ils préfèrent se cantonner à de grandes déclarations de principe et distribuer bons et mauvais points du haut d’un Olympe où s’agitent ceux qui, comme disait Péguy, «ont les mains pures, mais n’ont pas de mains». Du coup, c’est au bon peuple de s’y coller. Et il le fait. On lui demande son avis ? Il le donne. Et qu’on ne vienne pas en plus le lui reprocher.
Alors, on me dira : Oui, mais et la peine de mort ? C’est vrai, j’ai apprécié que François Mitterrand abolisse la peine de mort, et je sais qu’un référendum sur la question l’aurait certainement contredit. Mais d’abord, je ferai observer que cette abolition figurait en toutes lettres dans le programme du candidat socialiste et qu’il s’était encore engagé publiquement, trois jours avant l’élection, à tenir cette promesse. Il n’y avait donc pas tromperie sur la marchandise. Et par ailleurs, je ne suis pas certain que l’on puisse mettre sur le même plan une mesure fortement symbolique mais relativement anodine du point de vue de son impact quotidien, avec un ressenti qui touche précisément à la vie quotidienne. Car les exigences de la petite minorité musulmane en termes de foulards, de menus ou de piscines, ces exigences contribuent à dessiner un paysage quotidien. Et c’est de ce paysage que les citoyens suisses n’ont, en majorité, pas voulu.
La démocratie suppose le débat. Le malheur, c’est que dans certains cas nos «élites» politiques ou autres ne débattent pas. Elles débattent lorsque le clivage passe au milieu d’elles. Mais lorsqu’elles sont toutes d’accord et que le clivage passe entre elles et le peuple, il n’y a pas débat. Il y a cours de catéchisme, tentative de dressage, ou mépris. Et le peuple alors de s’exprimer, sans aucun souci pour des «élites» de plus en plus déconsidérées qui, après coup, viendront témoigner avec une désapprobation onctueuse de leur «préoccupation» ou de leur «inquiétude».
Les mentalités n’évoluent pas vite. L’islam est une religion, mais c’est aussi un système social et juridique qui a toujours eu vocation à régenter des théocraties. Concilier islam et laïcité, islam et république est l’un des grands défis que musulmans et non-musulmans des pays occidentaux doivent relever ensemble. La route pour y parvenir n’est ni simple, ni droite. On y progresse par à-coups, de façon parfois brusque et parfois plus douce. Les citoyens suisses viennent de donner un coup de frein, et d’appuyer en même temps sur l’avertisseur. Plutôt que de les en blâmer, il faut chercher sincèrement à comprendre ce qu’ils ont voulu dire. Et en tirer les leçons.
Ch. Romain
PS : Sur le même sujet, deux billets intéressant à lire ici et ici.
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5 commentaires:
Je suis satisfait du résultat de la votation suisse concernant l'interdiction de la construction de minarets sur son sol!
Cette votation appelle plusieurs réflexions mais particulièrement sur celle de la démocratie suisse qui elle, autorise la votation c'est à dire, la parole au peuple.
En France, nous en avons plein la bouche de la démocratie mais nous sommes loin d'avoir le niveau de la démocratie Israélienne (Proportionnelle intégrale) dans un pays en guerre depuis 60 ans ni celle de la Suisse qui autorise le référendum d'origine populaire.
Mon propos n'est pas de dénigrer la démocratie française mais de constater que nous devrions, au lieu de nous gargariser, nous moquer ou de s'attrister pour les Suisses, réaliser qu'en Suisse la messe n'est pas dite une fois les élections habituelles terminées. Doit-on regretter que le pouvoir du peuple existe ? Ce Dimanche, le peuple a parlé et s'est prononcé contre l'érection des minarets à 57,5%.
Alors LIBERATION fait son titre : Suisse le vote de la honte! Suivi d'un commentaire que je trouve, pour le coup honteux, venant d'un journal de gauche: "la Suisse est-elle trop démocratique? En permettant à ses citoyens de s'exprimer dans les urnes sur un sujet aussi brûlant que la place de l'islam en Europe, elle leur donne la possibilité de dire tout haut ce que la pudeur interdit ailleurs(...)" Pudeur, le mot est lâché, c'est énorme et lamentable! Trop de démocratie serait donc un manque de pudeur désormais pour LIBERATION! Que vient faire la pudeur dans un référendum populaire?
Rien que le titre est parfaitement scandaleux envers le peuple suisse et sa démocratie majeure. Comme si le peuple devait accepter le diktat d'une minorité sans rien dire par "pudeur". A contrario, le résultat contraire aurait été considéré comme le vote de l'honneur par les tenants de la bien pensance que représente Libération. Pitoyable cette vision de la démocratie. Pour tout dire, très stalinienne!
Mais au delà, comment peut-on s'ériger en censeur des peuples qui décident en leur âme et conscience et souhaitent rester libres de leurs choix? Au nom de quoi si ce n'est de la démocratie?
Gérard Brazon
http://puteaux-libre.over-blog.com
Vous manquez de couilles : exigez des franco-maghrébins ou des franco-africains qu'ils abandonnent leur religion ou se convertissent à une religion qui vous paraît plus sympathique ou l'expulsion. Ce serait plus honnête que d'INSINUER pleutrement que chaque musulman est forcément terroriste ou/et délinquant.
@ Anonyme
Vous manquez de lunettes : vous n'avez manifestement pas lu ce que j'ai écrit.
Essayez encore !
Ch. Romain
De JEAN-BAPTISTE SIEUW
Bonsoir, j'ai suivi votre lien tout naturellement.
Vous avez rédigé un très bonne article qui entre dans le sujet par une autre voie, celle de l'aspect populaire, au sens premier du terme, de cette votation. Alors que j'étudiais l'aspect global, vous privilégiez l'aspect local, quotidien, du problème, ce qui est extrêmement enrichissant pour moi, vous vous en doutez.
Votre article rappelle une chose très importante : les demandes sur les horaires des piscines ou le sexe des médecins sont inacceptables et doivent être rejetés. Mais également au nom d'un principe, pas seulement parce que le peuple ne le tolèrerait pas.
Imaginez une ville en France où la population serait à 70% musulmane, avec une minorité conséquente salafiste par exemple (une telle situation, à l'heure actuelle, serait le résultat d'une énorme erreur d'urbanisme), comment voulez-vous que la mairie ne prenne pas en compte les demandes sur les horaires de piscine s‘il ne lui fallait compter que sur l'avis des riverains ?
Parce que, concrètement, le besoin ce serait : des muezzins, des haut-parleurs, des médecins femmes, des piscines non-mixtes...
Vous serez d'accord avec moi sur le fait qu'accepter ces demandes ne serait pas tolérable d'un point de vue éthique : il s'opposerait à notre projet de société.
Il faut faire la différence entre ce que le peuple dit, à un moment précis, dans une ambiance précise, qui évidemment a la valeur qu'on lui donne en démocratie, à savoir la valeur première du souverain, et un avis figé d'un peuple figé.
Les élites réagissent toujours comme cela, et comment leur en vouloir ? Elles sont persuadées (parfois à raison) que si elle décidaient tout, ça serait mieux.
J'aime beaucoup la manière dont vous concluez cet article, en appelant à concilier islam et démocrate, même si vous y voyez de grandes difficultés.
Je peux donc déjà vous dire que la Turquie est parvenu à les concilier dans le parti de l'AKP (Parti de la Justice et du Développement - équivalent des démocrates-chrétiens en Allemagne mais ici démocrates-musulmans), actuellement au pouvoir, représenté par le premier ministre Receyip Erdogan.
A bientôt sur de prochains articles
@ M. Sieuw
Je suis tout à fait en ligne avec vous sur le début de votre commentaire : il y a des principes avec lesquels on ne doit pas transiger. Et la question de la sensibilité populaire, dans certains cas, rejoint celle de ces principes.
Concernant ce que vous dites de la Turquie, je ne connais pas assez le sujet pour me permettre de hasarder une opinion. Il me semblait que M. Erdogan avait eu des propos assez favorables à certaines exigences peu acceptables chez nous. Mais je me trompe peut-être.
Merci de votre visite, en tout cas, et au plaisir.
Bien cordialement,
Ch. Romain
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