jeudi 28 mai 2009

Sur le poids des lois communautaires en France

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En réponse à la question que j'évoquais hier en parlant de l'émission d'Yves Calvi (cf. l'article précédant celui-ci), j'ai trouvé ce très intéressant texte de Jean Quatremer (l'un des journalistes qui participaient à ladite émission) qui me semble faire un point assez objectif sur le sujet. Je me permets de le reprendre, en espérant que M. Quatremer ne m'en tiendra pas rigueur... Vous trouverez en fin d'article un lien vers son blog, d'où cet article est extrait.

Ch. Romain

Quel est le pourcentage de lois nationales d'origine communautaire ?

Marine Le Pen, la numéro 2 du FN, affirmait le 17 avril sur BFM TV que «80% des lois qui sont appliquées et qui sont votées par les députés sont en réalité seulement enregistrées parce que ce sont des directives européennes». La fille du fondateur du parti d'extrême droite reprend là un credo frontiste classique, dénonçant l'abandon de souveraineté nationale que constitue l’Union européenne. Dix jours plus tard, le 27 avril, Michel Barnier, ministre de l’agriculture et tête de liste UMP en Ile de France pour les européennes, affirme, lui, sur Canal Plus que «le Parlement européen, il est au moins aussi important que le Parlement national. Est-ce que vous savez que 60% des lois, ce ne sont pas les autres que les font pour nous, c’est nous qui les faisons avec les autres». Il s’en réjouit et veut ainsi souligner l’importance des élections du 7 juin. Mais quel est le juste pourcentage ?

La bataille du «pourcentage» de lois nationales qui ne sont en fait que des transpositions de directives et de règlements communautaires adoptés à Bruxelles par le Conseil des ministres et le Parlement européen est ancienne. C’est Jacques Delors qui, le premier, a lancé, dans l’enthousiasme de la relance européenne, un chiffre, le 2 février 1987. Celui qui était alors le président de Commission (1985-1995) annonce fièrement que «30 % de la législation belge est d’origine communautaire et (…) ce chiffre devrait passer à 60 % dans les dix ans qui viennent».

Vingt-deux ans plus tard, sa vision semble s’être réalisée : la Communauté économique européenne des débuts s’est transformée en une Union dotée de compétences nouvelles : politique sociale, politique structurelle, politique monétaire, justice, immigration, police, affaires étrangères, défense, culture, recherche, éducation - la liste semble sans fin. Seize pays partagent désormais la même monnaie, l’euro, et la Banque centrale européenne (BCE) le dispute en puissance à la Réserve fédérale américaine. Le site web du ministère de la justice affirme d’ailleurs que «la proportion du droit communautaire dans le droit français est comprise entre 60 % et 70% des textes nouveaux».

Pourtant, les choses sont bien moins simples qu’il n’y paraît. D’abord, le raisonnement en termes de pourcentage ne veut strictement rien dire sur le plan juridique. Toutes les lois n’ont pas la même importance : un texte interdisant la peine de mort tient en une ligne, une directive européenne fixant les normes techniques à respecter lors de la construction des ascenseurs occupe des dizaines de pages.

Ensuite, il ne faut pas confondre le flux et le stock : il est clair que le stock de lois existantes est tel dans l’ensemble des pays de l’Union qu’il n’est guère affecté par le droit européen. En revanche, il en va différemment du flux, c’est-à-dire des nouvelles lois adoptées chaque année. Concrètement, en France, en 2007, 87 lois ont été promulguées. 51 avaient pour objet d’autoriser la ratification ou l’approbation d’accords internationaux (dont 8 négociés par l’Union) ; sur les 36 autres lois, 10 comportaient des dispositions d’origine communautaire. Au final, ce sont donc seulement 25 % des lois adoptées qui étaient d’origine communautaire.

Pourtant, il est difficile de contester que les textes européens sont abondants. On cite souvent les fameuses «50 000 pages de lois européennes». Mais là aussi, il faut savoir de quoi l’on parle. Si, au 31 décembre 2006, 711 directives et 5 293 règlements communautaires étaient en vigueur, la plupart de ces textes sont des harmonisations de normes techniques (taille des cages à poules) ou visent à éliminer les obstacles techniques aux échanges. Il faut bien voir que l’essentiel de l’activité normative du Parlement européen et du Conseil des ministres relèverait, en France, du pouvoir réglementaire, c’est-à-dire du gouvernement.

En réalité, l’essentiel des compétences — et donc du droit — demeure encore du ressort étatique. Jean-Louis Bourlanges, après vingt ans passés au Parlement européen, estime ainsi que «90 % des politiques et 98 % des financements restent nationaux». «Qu’il s’agisse de l’éducation et de la recherche, du droit du travail et de la protection sociale, de l’organisation administrative du territoire, de la justice et de la police, de la défense et de la politique étrangère et même, malgré Maastricht, des politiques budgétaires et fiscales, l’essentiel du pouvoir reste dans les États». Un citoyen lorsqu’il se marie, divorce, signe un contrat de travail, fait une donation, conduit, achète, vend, loue se fait rembourser auprès de la sécurité sociale, paye ses impôts, etc., le fait sans avoir recours à un moment ou à un autre au droit européen.

La souveraineté nationale a donc seulement été ébréchée dans un certain nombre de domaines –notamment économique- par la construction communautaire. Le droit européen reste largement cantonné à la périphérie des souverainetés nationales.



Pour en savoir plus, je vous renvoie au livre dirigé par Michel Rocard et Nicole Gnesotto, Notre Europe", publié en 2008 chez Robert Laffont, dans lequel j'ai écrit un chapitre: "Est-ce Bruxelles qui nous gouverne ?"

Jean Quatremer

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http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2009/05/quel-est-le-pourcentage-de-lois-nationales-dorigine-communautaire.html

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1 commentaire:

T.P. a dit…

Excellent, je ne l'avais pas lu.
Tu as bien fait de "passer" car je voulais te rajouter dans ma blogoliste, ainsi je n'oublierai pas de venir te lire plus régulièrement.

Voici une invitation, si ça te dit d'y ajouter un (ou des) texte(s)
http://lescriptorium.wordpress.com/2010/02/20/poussieres-de-blogs/