lundi 8 juin 2009

Les leçons des Européennes.

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Donnons d’abord les résultats officiels du scrutin, tels que fournis par le ministère de l’intérieur :

Inscrits : 44,3 millions
Abstention : 26,3 millions (59,35 %)
Votants : 18,0 millions
Exprimés : 17,2 millions

UMP : 27,87 %
PS : 16,48 %
Europe Ecologie : 16,28 %
MoDem : 8,45 %
Libertas : 6,74 %
FN : 6,34 %
Front de gauche : 6,05 %
NPA : 5,0 %
Lutte ouvrière : 1,2 %

Bien que les résultats soient encore tout frais, on peut déjà essayer de tirer quelques conclusions du scrutin d’hier. Pour ma part, je retiens cinq faits marquants des résultats de cette élection. D’abord, l’importance de l’abstention, ensuite la victoire de l’UMP, la percée d’Europe Ecologie et enfin les résultats en berne du PS et du MoDem.

Abstention : l’effet «Trou noir»
Avec 59,5%, l’abstention à l’échelle nationale bat un nouveau record pour des élections européennes. Il semble que cette abstention a surtout été le fait des jeunes et des couches populaires. C’est-à-dire, deux des catégories les plus frappées par la crise et par le chômage qui en résulte.
Autrement dit, il n’y a pas eu de vote-sanction, ni de vote ras-le-bol. Tandis que l’UMP a fait le plein de ses voix, le NPA, positionné sur un discours anti-crise, a obtenu un résultat décevant. De même, les partis «anti-Europe» (FN, Libertas…) n’ont pas connu de percée significative. Tout se passe comme si la France qui souffre avait renoncé à se faire entendre. Désaffection de la politique, faible crédibilité de l’offre ou découplage entre l’enjeu européen et les préoccupations quotidiennes, toujours est-il que ce n’est pas dans les urnes qu’inquiétude ou révolte se sont exprimées. Les 26,3 millions de Français qui se sont abstenus constituent un véritable «trou noir» dans lequel les effets de la crise et les messages des divers partis ont été également absorbés sans retour.

UMP : une victoire en trompe-l’œil.
Le 21 avril 2002, Jean-Marie Le Pen arrivait au second tour de la présidentielle. Pour autant, et chacun le sait, il ne devait pas cette présence à un succès personnel, mais bien à l’émiettement des voix de gauche sur un nombre élevé de candidatures concurrentes. Il me semble que la victoire de l’UMP a reproduit hier ce schéma.
Qu’avions-nous ? A droite, une UMP quasi-hégémonique, ayant satellisé le Nouveau Centre, et flanquée de listes concurrentes à relativement faible pouvoir d’attraction : FN, Libertas, Debout la République… Au centre, le MoDem. Et à gauche, pas moins de quatre listes à réel potentiel (PS, Europe Ecologie, Front de gauche, NPA), plus une nébuleuse composée d’écologistes (Ecologie indépendante, La Terre sinon rien…) ou d’extrême-gauche plus ou moins avouable (Lutte ouvrière, Communistes, Cannabis sans frontière, Liste antisioniste…). Autrement dit, l’UMP se taillerait de toute façon la part du lion du «gâteau» de droite, tandis que celui de gauche serait beaucoup plus disputé.
Jean-François Copé ne s’y était d’ailleurs pas trompé, qui estimait qu’un score inférieur à 25% serait un mauvais résultat.
Dans ce contexte, les 27,9 % obtenus par le bloc UMP-NC ne sont pas vraiment une surprise. Ils montrent que le parti présidentiel a fait le plein de ses voix, grâce à une stratégie de personnalisation forte (bien aidée par les adversaires de Nicolas Sarkozy) sur le double thème de la présidence réussie de l’UE et de la nécessaire défense du chef. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, le temps d’une élection, les «MP» de l’UMP étaient redevenus «Majorité présidentielle» et non plus «Mouvement populaire»…
Victoire donc, mais victoire d’un parti soudé et hégémonique contre des partis en ordre dispersé. Victoire qui démontre, plus que jamais, à quel point Nicolas Sarkozy est en rupture avec l’esprit de la Veme république. Car dans notre régime, le président est d’abord celui de tous les Français. C’est au Premier ministre, non au Président, qu’incombe le rôle de chef de parti et de meneur de la majorité. Or, c’est peu de dire que François Fillon a été absent dans cette campagne européenne. Réduit au second rôle de porte-flingue élyséen, il a laissé toute la place à Nicolas Sarkozy. Dès lors, plus que jamais, celui-ci apparaît comme le défenseur d’une France contre une autre ; comme le représentant d’une classe contre une autre. Une posture qui a pu lui donner la victoire dans une élection à un seul tour, mais qui obère fortement l’avenir. D’autant que, si l’autre France ne trouve pas le moyen de s’exprimer par les urnes, elle pourrait être tentée de chercher d’autres moyens de se faire entendre.
C’est pourquoi l’appel de François Fillon, ce matin, à «l’unité nationale» (appel réitéré dans la soirée par Nicolas Sarkozy lui-même) sonne à la fois comme le signe d’une prise de conscience et comme une sinistre plaisanterie.

Europe Ecologie : un succès pour quoi faire ?
Ce n’est pas les insulter que de le dire : Europe Ecologie est un mouvement plus qu’un parti, et certainement pas un parti de gouvernement. Autant on peut se féliciter de voir Daniel Cohn-Bendit et les siens peser demain sur les décisions bruxelloises, autant on aperçoit mal l’éventuel projet de gouvernement national de cette alliance de circonstance.
Dès lors, le beau succès d’Europe Ecologie amène tous les commentateurs politiques à poser la même question : «Et demain ?». Une question à laquelle Daniel Cohn-Bendit a été confronté toute la soirée électorale, et à laquelle il n’a répondu qu’en finassant ou en plaisantant. C’est qu’il n’a évidemment pas de réponse.
Pour le PS, cette victoire de «Dany» est un énorme soulagement : on va pouvoir remplacer le débat qui fâche «Avec ou contre le MoDem ?» par un débat «Avec ou contre Europe Ecologie ?» nettement moins générateur de luttes fratricides. Pour autant, il n’est pas certain que l’alliance Cohn-Bendit/Eva Joly/José Bové puisse trouver aisément une traduction dans la politique nationale française. Qu’un nombre important de citoyens ont jugé souhaitable d’envoyer à Strasbourg un nombre important de députés à sensibilité écologique, c’est indéniable et c’est une bonne chose. Mais sans doute avec un mandat de garde-fou et d’agitateur. De là à leur confier les clés de la maison, il y a de la marge…
A l’échelle nationale, Europe Ecologie ne pourra donc capitaliser sur son succès qu’à condition de s’allier avec un parti de gouvernement. Mais le débat sur cette alliance serait susceptible de faire exploser le triumvirat écologique. Aussi Dany, en fin politique, n’envisage pour l’heure d’action qu’au Parlement européen et évite prudemment les sujets de discorde, s’empressant même d’affirmer qu’il ne sera pas candidat en 2012. Il va laisser les propositions venir à lui ; et elles ne tarderont sans doute pas.

PS : le prix des divisions.
Le mauvais score du PS s’explique d’abord, sans aucun doute, par la désaffection d’un électorat déçu par les querelles internes et qui a préféré se tourner vers l’offre incarnée par Europe Ecologie. Nul doute que le spectacle piteux offert depuis le congrès de Reims, joint à l’absence de projet et aux simulacres de réconciliation qui ont émaillé les derniers jours de la campagne, ont décrédibilisé le discours socialiste aux yeux d’un très grand nombre de Français.
On aurait tort, néanmoins, d’enterrer trop vite le premier parti d’opposition de notre pays. Si cette élection sans réel enjeu national a donné l’opportunité aux électeurs d’exprimer une sensibilité écologique, il est néanmoins fort probable que la première consultation «sérieuse» verra nombre d’électeurs de gauche rejoindre le bercail socialiste. D’autant que, comme on l’a dit, Europe Ecologie n’a pas vocation à gouverner.
Tout l’enjeu pour le PS est donc de se reforger rapidement une crédibilité et de se remettre en ordre de marche avant les Régionales de 2010. Or, il faut bien reconnaître que depuis quelques années, les socialistes n’ont pas démontré une très grande capacité à faire front collectivement en cas de crise. Au contraire, les difficultés ont plutôt pour effet d’exacerber leurs tensions et de justifier les règlements de compte en interne.
Les dirigeants socialistes devront donc soit sortir par le haut de la crise qu’ils traversent, soit se dépêcher de terminer définitivement leurs petits meurtres entre amis pour se ranger en ordre de bataille derrière un (une) leader largement reconnu(e). Faute de quoi ils se condamneront à une nouvelle déroute, beaucoup plus significative et grave que celle qu’ils viennent de subir.

MoDem : une doctrine, sinon rien !
Quant au MoDem, on ne peut que constater que, depuis la Présidentielle de 2007, les 18,8 % obtenus par François Bayrou au soir du 22 avril n’ont pas réussi à faire de petits. Tout se passe comme si le fondateur du MoDem ne réussissait pas à transformer l’alternative personnelle qu’il a su incarner en alternative programmatique.
On l’a souvent dit : l’élection présidentielle française est une élection très personnalisée. Or, c’est peu dire que tant Nicolas Sarkozy que Ségolène Royal généraient autant d’agacement ou de rejet que d’enthousiasme. François Bayrou est apparu comme un troisième homme attractif, un compromis attirant pour les modérés de droite comme de gauche.
Son pari, au lendemain de la Présidentielle, a été de transformer cette attirance pour une personne en une attirance pour un programme et une façon de faire. D’où une promesse de renouveau dans l’approche de la politique, l’exploration d’une troisième voie qui a séduit et continue de séduire à juste titre de nombreux militants. La difficulté tient à ce que, pour rendre lisible aux électeurs cette «troisième voie», il faut l’expression claire d’une doctrine dans laquelle ils puissent se reconnaître, et d’un programme d’action inspiré de cette doctrine. Faute d’une telle doctrine, le MoDem prête le flanc à l’accusation d’opportunisme et, surtout, son action manque de lisibilité.
La notion «d’humanisme» fut un temps l’amorce de cette doctrine. Mais les Européennes ont été pour François Bayrou l’occasion d’un discours perçu comme d’opposition systématique et non pas constructif. De plus, son jeune parti n’a pas encore su faire émerger suffisamment de porte-parole et (autre conséquence de l’absence de doctrine) souffre d’une trop forte identification à son créateur. Dès lors, les hauts et les bas de François Bayrou ont directement impacté les intentions de vote. Pendant plusieurs semaines, le MoDem et Europe Ecologie ont été au coude à coude, à 12% chacun, soit 24%. Dans les derniers jours, ces 12/12 se sont transformés en 8/16. Comme si une partie de l’électorat (vraisemblablement un centre-gauche un peu «bobo») avait finalement basculé et choisi son camp.
Le pari du MoDem est-il perdu ? Evidemment, non. «L’offre» d’Europe Ecologie est essentiellement conjoncturelle, et il demeure dans une partie de l’électorat français cette attente d’un troisième voie que François Bayrou a su incarner. Mais il est désormais urgent de théoriser et de structurer la démarche du MoDem, comme il est urgent de doter ce parti d’une véritable organisation militante. Les énergies et les bonnes volontés y sont nombreuses, les compétences aussi ; reste à les mettre rapidement en ordre de marche. Car 2012 est encore loin, et les échéances intermédiaires devront être autant de rendez-vous réussis.


Ch. Romain

1 commentaire:

europe nanterre a dit…

Merci Monsieur Romain de cette excellente analyse qui relativise l'enthousiasme des uns et la désespérance des autres. Je suis d'accord avec vous, une élection reste une élection même si le Modem doit impérativement tirer les leçons de cette défaite provisoire : davantage de démocratie au sommet (est-il normal que les listes de candidats n'aient pas été soumises au suffrage des militants ?)et une réelle
collégialité dans l'exercice décisionnel.
dans le 92, nous avons la chance de disposer d'hommes et de femmes vraiment engagés, bien formés et prêts à construire un vrai parti politique avec une ambition à la hauteur des transformations qui attendent nos sociétés. Valorisons ceux qui construisent, faisons mieux savoir la réalité vivante de ce jeune parti ... et que les meilleurs gagnent !
Je ne désespère pas d'un rebondissement à venir. Mais il faudra des personnes sérieuses qui travaillent en profondeur leurs dossiers tout en restant "branchés" sur les réalités quotidiennes de nos concitoyens.