mardi 20 octobre 2009

Petit Monopoly nucléaire.



Pour l’instant, entre un scandale à l’EPAD et un scandale rue de Valois, on n’en a pas encore trop entendu parler. Mais je parierais volontiers que le prochain sujet politique chaud concernera le nucléaire français. Et pas pour évoquer la réapparition inopinée de 30 ou 40 kilos de plutonium oubliés sur une étagère. Non, ce sera plutôt pour dénoncer un nouveau petit Monopoly. Au sujet d’Areva.

Areva, c’est le fleuron du nucléaire français. Une entreprise née en 2001 de la fusion de la Cogema et de Framatome. Une belle réussite : 13 milliards d’euros de chiffre d’affaires, 590 millions d’euros de résultat net, 75 000 salariés dans le monde, propriété de l’Etat à plus de 90%. Et dirigée par une femme, Anne Lauvergeon. Et une femme socialiste en plus, ancienne collaboratrice et «sherpa» de François Mitterrand. Bref, c’est une exception à beaucoup de titres. Sauf que cette superbe entreprise a besoin de beaucoup investir tant dans la recherche que dans l’extraction et le traitement. Des besoins estimés à 10 ou 11 milliards d’euros sur les trois prochaines années. Et c’est là que ça commence à coincer.

Pour faire simple, Areva est composée de trois entités :

- Areva NP (conception et construction de centrales, fourniture de combustible, maintenance) réalise environ 3,5 milliards d’euros de CA et serait plutôt déficitaire ;

- Areva NC (production et traitement d’uranium, traitement et recyclage de déchets, démantèlement d’installations) réalise environ 4,5 milliards d’euros de CA et contribue à 30 ou 40% du résultat ;

- Areva T&D (transport et distribution d’électricité) emploie la moitié des salariés du groupe, réalise 5 milliards d’euros de CA et contribue à au moins 60% du résultat. C’est donc la filiale la plus juteuse.

Or, alors que l’Etat n’a pas hésité à mettre la main à la poche pour aider l’industrie automobile, le secteur bancaire ou même celui des casinos, il ne s’est pas beaucoup soucié d’aider Areva à faire face à ses besoins de cash. Mieux, les responsables de l’Etat ont conseillé à Mme Lauvergeon, poliment mais très fermement, de vendre T&D pour un montant de l’ordre de 5 milliards d’euros.

Mme Lauvergeon ayant refusé en faisant valoir que ce n’était pas une solution, elle mène avec l’Etat depuis bientôt six mois une partie de bras de fer de plus en plus tendue, dont on n’a pas encore beaucoup entendu parler. Mais, dans une entreprise détenue à plus de 90% par l’Etat, il lui sera difficile de résister encore longtemps. Aussi la vente de T&D est-elle de plus en plus probable. Alstom, Schneider, Siemens ou General Electric seraient d’ailleurs déjà sur les rangs. Quitte à dépecer T&D en deux entités pour en faciliter la vente.

Mais pourquoi une telle insistance ? Officiellement, l’Etat affirme que T&D «n’est pas le cœur de métier» d’Areva. De plus, T&D avait été achetée à Alstom pour moins d’un milliard d'euros. Il y aurait donc une belle plus-value à réaliser. Bon. Mais officieusement, c’est peut-être un peu plus compliqué. C’est là que ça devient du Monopoly.

Avec la vente de T&D, Areva se retrouvera amputée de 40% de son CA et de plus de 60% de ses profits, avec deux entités (NC et NP) gourmandes en investissements et toujours 7 milliards d’euros de financement à aller chercher. Inutile de dire qu’une telle configuration, sans aide de l’Etat, ne tiendra pas très longtemps. D’autant moins que la vente de T&D se sera accompagnée d’une augmentation de capital qui, jointe à la cession par l’Etat de 15% de ses parts, aboutirait à privatiser 25% de l’entreprise. Donc, on arrivera très vite à la conclusion logique : il faut démanteler Areva et adosser chacune des deux filiales NC et NP à deux groupes qui sauront les rentabiliser.

Et justement, voyez ce que c’est que le hasard, il y a un patron d’entreprise qui rêve depuis des années de se payer Areva NP. Ce patron dirige, entre autres choses, une énorme entreprise de BTP et il pense que, en intégrant NP et en faisant un deal avec Alstom (voire, en absorbant Alstom), il pourra proposer des centrales nucléaires «clé en main» grâce à l’intégration de l’ensemble des compétences requises. Etant entendu que, avec l’épuisement programmé du pétrole et du charbon, le marché des centrales nucléaires va certainement connaître une belle envolée.

Ce patron visionnaire s’appelle Martin Bouygues. C’est un ami très proche de notre vénéré président.

Je vous dis : on va sûrement en entendre parler d’ici peu.

Ch. Romain

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