mardi 22 décembre 2009

Nicolas Sarkozy, ou le manque symbolique.

Si on observe les grandes et petites démocraties du monde actuel, on y trouve presque à coup sûr, à la tête de l’exécutif, un couple symbolique. D’une part, une fonction «opérationnelle» de gestion des affaires ; d’autre part, une fonction symbolique d’unification et d’incarnation du pays.

Voyons par exemple les démocraties dans lesquelles a subsisté l’institution monarchique ou impériale : Royaume-Uni, Espagne, Belgique, Danemark, Suède, Norvège, Hollande, Japon, Canada (dans une certaine mesure) et sans doute un certain nombre de pays asiatiques. J’excepte le Maroc, que je connais trop mal pour pouvoir juger si c’est réellement une démocratie. Dans ces pays, le pouvoir exécutif réel est détenu par l’un des ministres (appelé Premier ministre, ou Ministre d’Etat, ou peu importe) et ce pouvoir change de mains au gré des élections. Il est donc parfaitement admis que le Premier ministre en exercice, quel que soit par ailleurs son amour de la patrie, est bien le représentant d’un parti, d’une politique, d’une vision du monde qui par définition ne satisfont pas l’ensemble des citoyens. Ce Premier ministre est le représentant provisoire d’une proportion provisoirement majoritaire de la population ; mais il ne représente pas le pays et le peuple dans leur dimension symbolique d’unité nationale. La représentation symbolique de la Nation est confiée au roi, à la reine ou à l’empereur. C’est lui, c’est elle qui, dans les cas graves, prend la parole pour réaffirmer la nécessité première de conserver le pays «un et indivisible», de dépasser les intérêts particuliers pour retrouver le sens du collectif et de l’intérêt national.

Un exemple illustrera cela. Lorsque le Danemark fut occupé par les Nazis, le roi Christian X, âgé de soixante-dix ans, s’astreignit à faire tous les jours une promenade équestre dans la capitale pour se manifester aux yeux de son peuple. Et lorsqu’il fut question d’un décret obligeant les Juifs danois à porter l’étoile jaune, il menaça les autorités d’occupation d’être le premier à la porter si le décret était promulgué.

Dans la plupart des démocraties qui ne sont pas des monarchies constitutionnelles, on observe également que le pouvoir exécutif appartient au Premier ministre, tandis que le Président de la république se voit confier la partie symbolique du boulot. C’est par exemple le cas en Allemagne, en Italie, en Grèce, au Portugal, en Irlande… Il y a une exception : les USA. Chez eux, c’est vraiment le Président qui détient le pouvoir exécutif. La représentation symbolique, ils l’ont carrément confiée à Dieu, qu’ils ont mis sur leurs billets de banque sous la forme d’une pyramide héritée de la franc-maçonnerie en compagnie de la devise «In God we trust»

Et en France ? Eh bien, en France l’éphémère IIème, puis la IIIème et la IVème républiques firent comme les autres : la gestion de l’exécutif confiée au Président du conseil, et une fonction d’unité symbolique confiée au Président de la république (et matérialisée, sous la IVème, par son rôle de chef suprême des armées). Fonction symbolique qui n’allait d’ailleurs pas sans risque : c’est bien le Président de la république que l’anarchiste Caserio décida d’assassiner en 1894, et le semi-dément Gorguloff en 1932.

La Vème république inaugura une vision nouvelle. Conçue par un homme et pour un homme, elle confie au Président de la république à la fois un rôle symbolique fort et la maîtrise réelle de l’exécutif. Lui confiant tous les pouvoirs tout en le rendant inaccessible, elle fait du Président un véritable «monarque républicain».

Maîtrise de l’exécutif d’abord. Sauf en cas de cohabitation, le rôle de Premier ministre se borne, si l’on peut dire, à un travail harassant d’exécution et de coordination, sans véritable capacité d’initiative. C’est bien le Président qui, tout en se plaçant au-dessus des partis, inspire et guide la politique de la nation. Le Premier ministre joue un rôle de fusible : le Président en change lorsqu’il s’agit pour lui de marquer une évolution politique ou de donner des gages à l’opinion (remplacement de Mauroy par Fabius en 1984, ou de Cresson par Bérégovoy en 1992). En politique intérieure comme en politique extérieure, rien ne se fait sous la Vème qui n’émane de l’Elysée.

Fonction symbolique ensuite. Une fois élu, le Président doit se placer au-dessus des partis et incarner la nation tout entière. Sa légitimité émane du suffrage universel, cette rencontre d’un homme avec un peuple, et elle est régulièrement retrempée par des référendums dont l’objet formel n’a que peut d’importance. Ainsi, en 1969, de Gaulle démissionna à la suite de l ‘échec du référendum sur la régionalisation et la réforme du Sénat ; référendum dont la vraie question, parfaitement entendue par les citoyens comme par la classe politique, était : «Voulez-vous encore du général de Gaulle ?». Cette fonction symbolique doit l’amener à arbitrer, à intervenir en cas de crise par des mots forts et fédérateurs et, parfois, à trancher contre son propre camp d’origine en changeant de Premier ministre (remplacement de Raffarin par Villepin en 1995). Enfin, la fonction symbolique impose une certaine forme de dignité et de retenue. Il faut marier la pédagogie et la majesté, la proximité et la distance. Exigence paradoxale, qu’un Mitterrand maîtrisait particulièrement bien.

Or, depuis son accession au pouvoir, Nicolas Sarkozy semble avoir complètement fait l’impasse sur cette dimension symbolique de la fonction présidentielle. Revendiquant par un discours très personnel l’exercice et la responsabilité du pouvoir, il s’est mis en première ligne et a complètement effacé son Premier ministre. Ce faisant, il s’est positionné comme chef de la majorité, rôle qu’il assume d’ailleurs sans complexe, en réunissant à l’Elysée les barons UMP ou en brocardant dans un discours les responsables du PS. Le résultat, c’est qu’il apparaît, non comme l’incarnation de la nation, mais comme l’élu d’un camp contre un autre. Quand à la dignité de la fonction, c’est peu de dire qu’il ne s’en soucie pas trop.

Observez d’ailleurs comment on se moque de Nicolas Sarkozy. Mitterrand était surnommé «Dieu» ou «Tonton», ce qui impliquait chaque fois une relation verticale, de cadet à aîné. Chirac était moqué avec une certaine forme de sympathie à la fois familière et respectueuse, un peu comme un grand frère. Pour la première fois, avec Nicolas Sarkozy, le président est moqué comme un sale gamin, une espèce de Billy-the-Kid capricieux et remuant. La relation peuple-président est toujours verticale, mais dans l’autre sens. De haut en bas.

Aussi, symboliquement, le pays n’a plus de père. Et donc, dirait Lacan, plus de re-père. Autant la droite se fédère derrière un leader affirmé, assumé et reconnu, autant la gauche s’égaille en ordre dispersé. Quant aux citoyens, ils se replient sur eux-mêmes et sentent croître leur méfiance face à un corps social dont ils se sentent de moins en moins partie prenante. Ce n’est pas un hasard si, au delà des combines politiciennes, le gouvernement a senti le besoin d’un débat sur l’identité nationale. La fonction de représentation collective n’étant plus assumée, il faut d’une façon ou d’une autre réaffirmer l’existence de la nation. Malheureusement, ce débat n’est pas la bonne façon de faire.

Que faire, alors ? Faire entendre à nouveau une parole nationale. Il faut qu’un tribun reconnu prenne la parole au nom de la collectivité, parle au nom de l’intérêt public, propose la voie d’un salut collectif. Il faut qu’un homme ou une femme se fasse le héraut symbolique de la nation. Nicolas Sarkozy devrait être cet homme ; ce serait son rôle. Mais il est peut-être déjà trop tard. Ségolène Royal pourrait être cette femme mais, usée par les interventions hors de propos, elle ne dispose peut-être plus de la légitimité personnelle nécessaire. François Bayrou, enfin, pourrait être cet homme-là. Il en a la légitimité et le souffle. C’est à lui de saisir l’occasion. S’il ne le fait pas très vite, un autre ou une autre le fera à sa place.



Christian ROMAIN

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dimanche 6 décembre 2009

Comment fonctionne une élection régionale ?


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Petit à petit, les élections régionales de mars 2010 deviennent un sujet d’actualité. C’est donc le moment de se poser la question : comment fonctionnent ces fameuses élections ? En effet, le mode de répartition des sièges au sein du conseil obéit à des règles pas forcément très évidentes. Et si l’on veut faire des pronostics, il faut d’abord connaître lesdites règles. Voyons donc ça de plus près…

Nous retiendrons quatre principes :
- le scrutin est un scrutin de liste par département ;
- c’est un scrutin à deux tours avec élimination des «petites» listes au premier ;
- le décompte des sièges se fait à l’échelle régionale avec une prime au premier ;
- la répartition des sièges se fait département par département.


1 – Un scrutin de liste par département.
Une région est composée de départements. Le conseil régional compte un certain nombre de sièges à pourvoir, et ces sièges sont répartis par département au prorata du poids électoral de chaque département dans la région. Ainsi, le CR d’Ile-de-France compte 209 sièges à pourvoir au total pour les huit départements qui constituent la région : 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94 et 95. Paris, qui représente 18 à 20% de l’électorat francilien, en a 41. Le département 92 (Hauts-de-Seine) qui représente entre 13 et 14% du poids électoral de la région Ile-de-France, en a pour sa part 28. La Seine-Saint-Denis (93), qui possède à peu près autant d'habitants que les Hauts-de-Seine, n'en a que 20 car son poids électoral est moindre.

Ainsi, pour présenter une liste dans une région, il faut présenter dans chaque département une «sous-liste» comprenant autant de noms qu’il y a de sièges à pourvoir. Les électeurs devront choisir entre des listes comportant uniquement les noms des candidats dans leur département. Ainsi, les Parisiens choisiront entre différentes listes comptant chacune 41 noms ; les Altosequanais entre des listes comptant chacune 28 noms, et ainsi de suite…


2 – Un scrutin à deux tours avec élimination.
A l’issue du premier tour, le décompte des votes se fait à l’échelon régional. Les listes sont classées en trois groupes :
- celles qui ont obtenu moins de 5% des voix ne peuvent ni se maintenir, ni fusionner ;
- celles qui ont obtenues entre 5 et 10% des voix peuvent fusionner avec une autre liste pour se présenter en commun au second tour ;
- celles qui ont obtenu plus de 10% des voix sont qualifiées pour le second tour (et elles peuvent, si elles le souhaitent, fusionner avec d’autres listes).

Insistons bien : le décompte se fait à l’échelle régionale. C’est-à-dire qu’une liste peut tout à fait obtenir moins de 5% dans un département, mais faire plus de 5% dans la région si ses résultats dans les autres départements compensent sa mauvaise performance locale. Dans un tel cas, la liste en question sera autorisée à fusionner.

Accessoirement, les listes éliminées à l’issue du premier tour n’ont pas droit au remboursement de leurs frais de campagne.


3 – Un décompte des sièges à l’échelle régionale avec prime majoritaire.
Entre les deux tours, les listes à plus de 5% peuvent fusionner ou se maintenir en l’état.
Une fusion de liste consiste à agglomérer les candidats de différents partis sur une seule liste. Ces candidats devaient déjà figurer sur l’une des listes au premier tour, mais l’établissement des listes fusionnées est assez libre : le nom de la liste et son ordre peuvent être modifiés. Une personne candidate au premier tour dans un département peut, après fusion, être candidate dans un autre département de la même région.

A l’issue du second tour, le décompte des voix est fait à l’échelle régionale. Le nombre de sièges par liste est alors calculé de la façon suivante :
- la liste arrivée en tête se voit attribuer d’emblée 25% du total des sièges à pourvoir ;
- les 75 % restants sont partagés entre toutes les listes (y compris celle arrivée en tête) au prorata des résultats obtenus à l’échelle régionale.

Par exemple, supposons qu’à l’issue du second tour en Ile-de-France, trois listes A, B et C aient obtenu respectivement 47%, 32% et 21% des voix à l’échelle régionale.

Il y a 209 sièges à pourvoir. La liste A va commencer par recevoir 25% de 209 sièges, soit 53 sièges, (on arrondit à l’unité supérieure). Puis, on va partager les 156 sièges restants. La liste A en recevra 156 x 47% = 73. La liste B en recevra 156 x 32% = 50. La liste C en recevra 156 x 21% = 33.

Au final, la liste A recevra donc un total de 73 + 53 = 126 sièges ; la liste B en aura 50 et la liste C en aura 33, ce qui fait bien 209 sièges en tout.



4 – Une répartition des sièges département par département.
Maintenant que l’on sait à combien de sièges chaque liste a droit, il reste à déterminer comment ces sièges vont être répartis par département.

Pour cela, chaque liste va regarder quel poids chacun des départements aura pesé dans son résultat régional. Et elle va affecter ses sièges par département au prorata de ce poids.

Par exemple, nous avons vu que la liste C a obtenu 21% des voix au second tour et a donc droit à 33 sièges. Supposons que cette liste ait réalisé un score particulièrement élevé en Seine-Saint-Denis, de sorte que ce département représente 24% du total de ses voix. Elle attribuera alors 24% de 33, soit 8 sièges à la Seine-Saint-Denis. Les huit premiers candidats de la liste C dans le 93 seront donc élus. Si par contre les Hauts-de-Seine n’ont pesé que 8% de son résultat régional, il y aura 33 x 8% = 3 sièges pour ce département, et seuls les trois premiers candidats de la liste C dans le 92 siègeront au conseil régional.


5 –Petit exercice d’application.
En admettant que les résultats des élections régionales de mars 2010 reproduisent ceux des Européennes, tempérés par les récents sondages, on aurait les chiffres suivants


Résultats IDF

Résultats 92

UMP-NC (liste unique)

33 %

37 %

PS

20 %

19 %

Europe Ecologie

21 %

21 %

MoDem

6 %

6 %

Front de gauche

6 %

7 %

Front national

8 %

8 %

Autres listes

N. S.

N. S.


A l’issue de ce premier tour, on admet (pour les besoins de la cause) que les listes EE et PS fusionnent avec le MoDem, tandis que Front de Gauche et front National se retrouvent sur la touche, ne pouvant ni fusionner, ni se maintenir.

Le deuxième tour a donc lieu, et donne les résultats suivants :


Résultats IDF

Résultats 92

UMP – NC

47 %

50 %

PS – EE – MoDem

53 %

50 %



Questions : à l’issue de ces résultats, de combien de sièges disposerait chacune des deux listes ? Et combien de candidats MoDem du 92 se retrouveraient-ils élus ?

Réponses : sur les 209 sièges, la gauche en recevrait d’emblée 53 (prime majoritaire de 25%) puis 53% des 156 restants, soit 83. Elle occuperait donc en tout 136 sièges, contre 73 pour la droite.

Pour répondre à la seconde question, il faudrait connaître exactement le poids du 92 dans le résultat final, et surtout la façon dont les candidats MoDem du 92 auraient été placés sur la liste de second tour. Admettons que le 92, plutôt à droite, n’ait pesé que pour 9% dans le score final de la gauche. Il a donc droit à 12 sièges, soit 9% de 136. Ce sont donc les douze premiers candidats de la liste fusionnée des Hauts-de-Seine qui siègeront au conseil régional. Si l’un des candidats MoDem du premier tour figure parmi ces douze, il sera élu. Sinon, le MoDem n’aura aucun élu dans le 92.



La conclusion pratique de ces petits calculs, c’est la relative vanité des luttes auxquelles d’aucun peuvent se livrer au sein du MoDem 92 (ou d'ailleurs) pour obtenir d’être troisième, quatrième ou cinquième de liste. Il est clair que, dans les conditions actuelles, pour ce qui est du MoDem, seul le premier de liste départementale aura une chance d’être élu. Et encore… N’oublions pas qu’un candidat peut changer de département entre les deux tours, à l’occasion d’une fusion de liste. Un quelconque apparatchik soucieux de sauver son mandat aurait donc tôt fait de se faire bombarder dans les dix premiers d’un département pas trop encombré. Dans une telle configuration, le pouvoir appartiendra tout entier à celui ou celle qui aura reçu mandat d’élaborer ou de négocier les listes de fusion…

Au fait, inutile d'apprendre ces règles par cœur. La réforme des collectivités territoriales instaurera à partir de 2012 une nouvelle forme d'assemblée mêlant les conseils régional et général. Il est donc très probable que les modalités de l'élection seront elles aussi modifiées.




Christian Romain

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mardi 1 décembre 2009

"Le Nouveau déserteur" - Hommage à Boris Vian

L’année 2009 marque le cinquantenaire de la mort de Boris Vian. En 1954, en pleine guerre d’Algérie, sa chanson pacifiste Le Déserteur avait fait scandale au point d’être interdite de diffusion sur les radios françaises. En hommage à Vian, j’ai écrit ce Nouveau déserteur. J’ai l’impression qu’il aurait aimé…


Monsieur le P-DG,
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si on vous la transmet.
J’ai ordre de fermer
Notre usine d’Exvoorte
Et de mettre à la porte
Quatre cents salariés.
Monsieur le P-DG,
Je ne veux pas le faire ;
Des familles entières
En seraient ravagées.
C’est pas pour vous fâcher,
Il faut que je vous dise :
Ma décision est prise,
Je vais démissionner.


Depuis bien trop d’années,
Nous créons la misère
Au nom des actionnaires
Et au nom du marché ;
Nous baissons les salaires
Et fermons des usines
Que nous rouvrons en Chine
Pour trente fois moins cher.
Nous saccageons la Terre
Et causons des suicides
Pour le plaisir avide
D’un gros chiffre d’affaires.
Je ne veux plus aider
A bâtir un tel monde ;
Tout cela me fait honte.
Moi, je veux arrêter.


Il me reste trente ans
Pour être un peu utile
Au sein de ma famille
Ou avec d’autres gens ;
Je voudrais désormais
Trouver des choses à faire
Dont je puisse être fier
Avant de m’en aller.
S’il faut réduire les frais,
Commencez par les vôtres.
Vous êtes bon apôtre,
Monsieur le P-DG.
Si vous me poursuivez,
Prévenez vos juristes
Que j’emporte des listes
Et puis quelques dossiers.


Ch. Romain


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Zut, le peuple s’est encore trompé !

C’est donc officiel : à une large majorité (57,5%), les Suisses se sont prononcés contre l’édification de minarets dans leur pays. Un résultat qui suscite une certaine désapprobation, d’abord chez les autorités musulmanes – ce qui est assez normal – mais aussi dans la sphère politico-médiatique et même de la part de M. Kouchner, notre actuel ministre des Affaires étrangères, qui se dit «légèrement scandalisé».

Bref, on retrouve une fois encore le classique réflexe des «élites» auquel un résultat électoral ne convient pas. Un réflexe que l’on a vu à l’œuvre, par exemple, lors du référendum sur la constitution européenne ou le 21 avril 2002 : «Allons bon, le peuple s’est encore trompé !». Dans un tel cas, les avis autorisés ne manquent jamais pour expliquer que ce peuple décidément indécrottable a cédé soit à des basses pulsions émotionnelles, soit aux sirènes populistes, soit les deux. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui, lorsque le résultat leur convient, sont unanimes à louer la «clairvoyance» ou la «formidable intelligence collective» du bon populo. Simple question d’occasion, en somme.

Au passage, on notera que depuis quelques années beaucoup de référendums (référenda, en bon latin) sont devenus des mascarades, puisqu’un «mauvais» résultat se solde par un nouveau vote quelques mois plus tard ; alors qu’un «bon» résultat est considéré comme définitivement acquis. D'ailleurs, ça n'a pas raté : Bernard Kouchner a exprimé le souhait que les Suisses «reviendront assez vite sur cette décision». Et après, on se demandera pourquoi les citoyens expriment le sentiment que les élections sont en partie un vaste foutage de gueule…

Bref, une majorité de Suisses ne souhaite pas voir de minarets pousser sur leur sol. Faut-il y voir pour autant du racisme, de la xénophobie et tutti quanti ? Pour une fraction de l’électorat, certainement. La question a été posée à l’instigation d’un parti d’extrême-droite, et la campagne électorale dudit parti ne faisait pas dans la nuance. C'était même assez infâme. Mais 57,5% de Suisses seraient-ils xénophobes et racistes ? Cela ferait quand même beaucoup.

Je ne sais pas comment les musulmans sont perçus en Suisse, ni comment ils se comportent. Mais si c’est pareil qu’en France, j’avoue que je comprends les Suisses.

Qu’on m’entende bien. Evidemment, l’immense majorité des musulmans concilient sans problème leur pratique religieuse et leur citoyenneté. C’est d’ailleurs la moindre des choses. Je n’ai jamais entendu personne s’extasier à l’idée qu’un catholique, un juif, un hindou ou un bouddhiste réussisse à concilier religion et citoyenneté, et je ne vois pas pourquoi ce qui va de soi pour les autres religions devrait être regardé comme un exploit dès qu’on parle de l’islam. Mais il faut bien reconnaître qu’une fraction minime mais très visible des musulmans émet des exigences qui commencent à fortement lasser le citoyen de base. Revendications sur le sexe des médecins, sur les menus des collectivités, sur les horaires des piscines, sur le port du voile… Il faut bien avouer que seuls les musulmans – enfin, une fraction d’entre eux – émettent ce genre d’exigence. Et qu’à force, l’agacement finit par poindre.

Je suis le premier à exiger des lieux de culte décents pour les musulmans comme pour les fidèles d’autres religions. Je l’ai dit, écrit et publié depuis plus de quinze ans. Mais quant aux minarets, ma réponse aurait été négative. Non pas pour le minaret en soi, dès lors qu’on m’affirme qu’il ne servira que pour faire joli et non pour appeler à la prière, à coups de haut-parleurs, cinq à six fois par jour. Mais pour manifester mon agacement. Juste mon agacement.

Il y a de cela quelques années, je fréquentais une sorte de centre de séminaires où des fidèles de toutes religions se retrouvaient régulièrement dans une atmosphère de syncrétisme et de spiritualité. Par symbolique et par ouverture d’esprit, le créateur du centre fit aménager, dans trois pièces contiguës, trois lieux de culte : une chapelle chrétienne, une salle de méditation judaïque et une mosquée. Chacun de ces trois lieux, le même jour, fut consacré par respectivement un évêque, un rabbin et un imam. A l’entrée de la mosquée, une fontaine rituelle pour les ablutions. Et, à la demande de l’imam, un panneau mentionnant que les non-musulmans ne devaient pas toucher à cette eau. J’avoue que je l’avais assez mal vécu.

Et je n’ai pas l’impression que les choses aillent en s’assouplissant, au contraire. Ainsi, je connais depuis quatre ou cinq ans une jeune femme française d’origine maghrébine, parfaitement intégrée. Mariée et mère de deux enfants, elle s’habille à l’occidentale, travaille dans une administration, est élue au conseil municipal de sa (grande) ville et s’investit beaucoup dans des activités associatives, notamment la LDH. Depuis le temps que nous nous connaissons, nous nous sommes toujours fait la bise. Sauf la dernière fois. Quand je me suis penché vers elle, elle s’est reculée vivement. La grippe ? Non. Elle a décidé qu’elle ne ferait désormais plus la bise aux hommes. Là non plus, je ne l’ai pas très bien vécu. J’ai interrogé les élus de son groupe, qui la connaissent mieux que moi et la côtoient fréquemment. Beaucoup se disent inquiets. Ils ne savent pas si c’est une évolution personnelle ou le fruit d’un compromis avec son mari, mais ils constatent une réelle radicalisation.

Ces deux exemples pour dire que je comprends le message que les Suisses ont peut-être voulu faire passer. Qu’il y ait un amalgame absurde entre musulmans et islamistes, c’est indéniable. Que l’image de l’islam dans les pays occidentaux ne soit pas extraordinairement positive, c’est assez évident. Mais qu’il y ait un durcissement et une fermeture de l’islam, qu’une fraction particulièrement activiste des musulmans émette de façon spectaculaire ou plus discrète des revendications irrecevables dans notre république, c’est tout aussi indéniable.

Or, on constate que les responsables politiques ne savent pas gérer cette situation. Par opportunisme ou par angélisme, ils préfèrent se cantonner à de grandes déclarations de principe et distribuer bons et mauvais points du haut d’un Olympe où s’agitent ceux qui, comme disait Péguy, «ont les mains pures, mais n’ont pas de mains». Du coup, c’est au bon peuple de s’y coller. Et il le fait. On lui demande son avis ? Il le donne. Et qu’on ne vienne pas en plus le lui reprocher.

Alors, on me dira : Oui, mais et la peine de mort ? C’est vrai, j’ai apprécié que François Mitterrand abolisse la peine de mort, et je sais qu’un référendum sur la question l’aurait certainement contredit. Mais d’abord, je ferai observer que cette abolition figurait en toutes lettres dans le programme du candidat socialiste et qu’il s’était encore engagé publiquement, trois jours avant l’élection, à tenir cette promesse. Il n’y avait donc pas tromperie sur la marchandise. Et par ailleurs, je ne suis pas certain que l’on puisse mettre sur le même plan une mesure fortement symbolique mais relativement anodine du point de vue de son impact quotidien, avec un ressenti qui touche précisément à la vie quotidienne. Car les exigences de la petite minorité musulmane en termes de foulards, de menus ou de piscines, ces exigences contribuent à dessiner un paysage quotidien. Et c’est de ce paysage que les citoyens suisses n’ont, en majorité, pas voulu.

La démocratie suppose le débat. Le malheur, c’est que dans certains cas nos «élites» politiques ou autres ne débattent pas. Elles débattent lorsque le clivage passe au milieu d’elles. Mais lorsqu’elles sont toutes d’accord et que le clivage passe entre elles et le peuple, il n’y a pas débat. Il y a cours de catéchisme, tentative de dressage, ou mépris. Et le peuple alors de s’exprimer, sans aucun souci pour des «élites» de plus en plus déconsidérées qui, après coup, viendront témoigner avec une désapprobation onctueuse de leur «préoccupation» ou de leur «inquiétude».

Les mentalités n’évoluent pas vite. L’islam est une religion, mais c’est aussi un système social et juridique qui a toujours eu vocation à régenter des théocraties. Concilier islam et laïcité, islam et république est l’un des grands défis que musulmans et non-musulmans des pays occidentaux doivent relever ensemble. La route pour y parvenir n’est ni simple, ni droite. On y progresse par à-coups, de façon parfois brusque et parfois plus douce. Les citoyens suisses viennent de donner un coup de frein, et d’appuyer en même temps sur l’avertisseur. Plutôt que de les en blâmer, il faut chercher sincèrement à comprendre ce qu’ils ont voulu dire. Et en tirer les leçons.


Ch. Romain


PS : Sur le même sujet, deux billets intéressant à lire ici et ici.


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mercredi 25 novembre 2009

San Antonio, Sartre, Astérix... Réflexion sur l'identité française.

Vers l’âge de 11 ou 12 ans, j’ai lu, en cachette de mes parents, L’Histoire de France selon Bérurier de San-Antonio. Au début, j’y ai trouvé ce passage :

«Quand tu mets un Français en Italie, en Espagne ou en Allemagne, après huit ou dix ans, ça fait un Français en Italie, en Espagne ou en Allemagne, Gros. Mais si tu mets un Italien, un Espagnol ou un Allemand en France, au bout de quelques années, qu’est-ce que tu obtiens ?

- Ben, la même chose, non ?

- Eh non, Gros. Tu obtiens un Français ! C’est incompréhensible, mais c’est comme ça. C’est ça, la France.»

Je ne garantis pas l’exactitude de la citation : je n’ai pas le livre sous la main et voilà presque quarante ans que je ne l’ai pas lu. Mais j’en garantis l’esprit. Ce passage que je n’ai pas forcément compris à l’époque, il faut qu’il m’ait bien marqué puisque c’est lui qui, quarante années plus tard, a surgi de ma mémoire lorsque j’ai entendu parler d’un débat sur «l’identité française». Un passage qui me paraît, curieusement, d’une vérité aussi caricaturale que profonde.

Qu’est-ce donc que cette identité française qui s’obtiendrait, pour ainsi dire, en respirant l’air du pays ? Suffit-il vraiment de vivre en France pour devenir Français ? Et si oui, à la suite de quelle alchimie unique ?

A ce point de la réflexion, une autre citation me revient en mémoire. Un alexandrin de Benjamin Franklin. «Tout homme a deux patries, la sienne et puis la France.» Et tout de suite après encore, une autre. Une phrase prononcée par un intellectuel juif de la fin du XIXème siècle, peut-être Theodor Herzl, lorsqu’il apprit l’ampleur des oppositions et des affrontements qui déchiraient la France au moment de l’affaire Dreyfus : «Une nation capable de se diviser en deux et qui est prête à la guerre civile pour réhabiliter un officier juif, c’est une nation où il faut se dépêcher de nous rendre».

Qu’est-ce donc que cette France qui appartiendrait comme de droit à tout homme, et qui est capable de se déchirer presqu’à mort pour une certaine idée de la Justice ?

Incompréhensible, peut-être pas. Mais étrange. Et pourtant, je suis d’accord avec tout ça. Profondément, viscéralement d’accord.

Je me souviens alors que la France, tout au long de son histoire, s’est trouvée comme investie d’une mission particulière. La France porteuse en 1789 de ces Droits de l’Homme au nom desquels elle a ensanglanté l’Europe. La France, plus calmement, instaurant le système métrique. La France défendant la liberté, la tolérance et l’instruction publique par les voix de Montesquieu, de Voltaire, de Diderot ou de Victor Hugo. Et déjà, du temps des cathédrales, la France «fille aînée de l’Eglise».

Je me souviens aussi que c’est à Paris, au début du XXème siècle, que Picasso l’espagnol, Foujita le japonais, Braque le français, Chagall le russe, Mondrian le hollandais, Calder l’américain et tant d’autres ont pu se rencontrer et, par leurs échanges et leur camaraderie, donner naissance à une vision nouvelle du monde. Je me souviens de Lénine, de Trotski, d’Hô Chi Minh et de tant d’autres réfugiés politiques accueillis sur notre sol. Et puis, je me souviens de La Guerre des boutons.

Qu’est-ce donc que cette France capable de s’ouvrir au monde entier et, dans le même temps, de développer l’esprit de clocher à un point presque ridicule ?

Paradoxe.

Les mots «esprit de clocher» me font alors penser à «village». Et de là, je pense à Astérix. Le plus phénoménal succès d’édition de toute la BD mondiale. 350 millions d’albums vendus dans près de 130 langues. A propos d’un petit village gaulois, de «nos ancêtres les Gaulois». Un petit village peuplé de personnages querelleurs, bougons, râleurs, mais toujours prêts à s’unir quand les circonstances l’exigent. Un village si exemplairement français ; qui fut inventé par un fils d’immigrés italiens et par un petit juif né à Buenos-Aires, tout juste revenu de chercher fortune aux USA… Comment un sujet aussi spécifiquement local a-t-il pu conquérir le monde ? Finalement, c’est Astérix qui me donne la clé de cet apparent paradoxe. La France réussit à être universelle en parlant d’elle et de ses clochers.

L’identité française, c’est peut-être d’abord cette certitude inconsciente que les hommes sont partout les mêmes, et que c’est en parlant bien de son clocher que l’on parlera le mieux du monde. Ce n’est pas un hasard si, en en 1981, François Mitterrand gagna la présidentielle avec une affiche montrant un village et son clocher. Ce socialisme de clocher était aussi, était en même temps, un socialisme universaliste.

Certitude que les hommes sont partout les mêmes. Qu’au delà des cultures, des couleurs de peaux, des langues et des apparences, tous les hommes partagent, au fond d’eux-mêmes, des émotions, des craintes, des espoirs et des joies semblables. Qu’ils sont tous semblables, et que tous se valent. Ce qui suppose un devoir d’entraide. Egalité, Fraternité.

De là, parfois, cette rage d’égalitarisme brocardé par Pierre Daninos : «L’anglais qui voit un homme passer au volant d’une Rolls rêve au jour où il pourra se payer la même. Le Français rêve du jour où il pourra obliger le conducteur à descendre pour aller à pied, comme tout le monde». Rage d’égalitarisme, sans doute, qui est l’un de nos pires travers. Mais rage qui trouve sa source dans un sentiment profond de l’égalité des hommes, de l’unicité de la condition humaine.

L’identité française : une certaine façon d’atteindre à l’universel en s’appuyant sur le particulier. D’être d’autant plus universel que l’on parle davantage du particulier. Comme le fit Molière, le plus français peut-être de nos auteurs classiques.

De là, je crois, se déduit tout le reste. Droit du sol ? Evidemment. Si l’autre est là qui me vaut, je le respecte et je l’accueille. Droits des femmes ? Evidemment. La femme est un homme comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Universalisme ? Forcément. De là, aussi, la capacité des Français à se révolter devant une injustice qui, comme dans l’affaire Jean Sarkozy, attente à l’égalité citoyenne, et en même temps à ne pas trop en tenir rigueur à Nicolas Sarkozy parce que, au fond, c’est humain de vouloir donner un coup de pouce à son fils. Intransigeance sur les principes, et indulgence dans leur application.

De là aussi, bien sûr, cette dimension «messianique» de la France. Les Français sont persuadés, viscéralement, que ce qui est bon pour la France vaut pour la Terre entière. Non pas parce que les Français seraient les meilleurs et que ce qui leur va sera toujours assez bon pour les autres. Mais parce que les Français se pensent représentatifs des autres, de tous les autres, et que donc une expérience réussie chez eux doit valoir pour tous les hommes. Quand un Français a découvert quelque chose, il veut en faire profiter le monde. D’où peut-être notre tradition littéraire et scientifique. D’où cette vision naïve et généreuse d’une France apportant ses lumières à l’Humanité.

Mais le franchouillard, alors ? Le chauvin, le beauf à front de taureau ? Le raciste borné ? Le Dupont-Lajoie ? Ne sont-ils pas Français eux aussi ? Et le colonialisme ? Et l’esclavage ?

Sans doute. La France fut colonialiste, la France fut esclavagiste. Mais observez comment. Voyez comment le colonialisme français s’est drapé, et combien sincèrement, dans la tradition civilisatrice française. Relisez Jules Ferry, Lyautey ou Savorgnan de Brazza. Voyez comment la France esclavagiste fut la première à s’émouvoir de l’esclavagisme — et à l’abolir. Voyez le Voltaire de Candide, voyez Hugo plaidant pour John Brown, voyez Victor Schoelcher. Et souvenez-vous qu’aujourd’hui, dans le monde, il n’y a guère que l’occident qui interdise l’esclavage.

Quant au franchouillard raciste, il existe évidemment aussi. Il représente, en somme, le côté sombre, excessif, de l’attachement au particularisme. Le sommet en fut atteint, peut-être, avec le régime de Vichy et le décret excluant les Juifs de l’administration et leur imposant le port de l’étoile jaune. Il y avait là une rupture complète avec la tradition universaliste française, un repliement craintif et mesquin ; quelque chose à la fois de logiquement français et de profondément étranger à l’esprit français. D’où le regard ambigu que nous lui portons encore aujourd’hui, entre rejet complet et dénonciation d’une «idéologie française».

Ce sentiment égalitaire, cet universalisme, se manifestent quotidiennement en France. Sans même que nous le percevions, tant cela nous paraît naturel. Il sont présents dans notre enseignement, dans le traitement que notre administration réserve à ses usagers, dans la suppression de la première classe du métro, dans le «A la queue, comme tout le monde» de la file d’attente, dans la CMU, dans la fraternité provisoire et spontanée des comptoirs de bistrot, dans notre attachement à la démocratie, dans notre amour de la discussion à perte de vue, dans notre méfiance spontanée à l’égard des trop riches ou des trop puissants… C’est pourquoi il suffit de vivre assez longtemps en France pour devenir Français. Parce que notre pays, notre mode de vie, font bientôt ressortir chez tout homme le sentiment d’être comme tous les hommes. Et que c’est d’abord cela, être Français.

Mais d’où vient que la France, aujourd’hui, bute sur des difficultés d’intégration ? Pourquoi cette nation qui s’est construite en enseignant «Nos ancêtres les Gaulois…» à des Lorrains, des Niçois ou des Guadeloupéens peine-t-elle à intégrer les descendants de ses derniers immigrés ?

Eh bien, justement, parce que ces descendants d’immigrés ont bien assimilé leur identité française. Contrairement à ce que l’on peut croire, ces «immigrés de seconde ou troisième génération», ces «Français issus de l’immigration» n’ont pas rejeté l’identité française. Au contraire, comme l’affirmait San-Antonio, ils sont devenus Français. C’est-à-dire qu’ils ont assimilé ces notions d’égalité et de fraternité républicaines. Le malheur, c’est que les faits sont venus démentir ce qu’ils avaient accepté de croire. Crise économique, urbanisme malheureux et repliement frileux se sont conjugués pour maintenir trop d’entre eux aux marges de la société. D’où un sentiment profond d’injustice et, logiquement, la recherche angoissée ou hargneuse d’une autre identité.

La vraie question, finalement, n’est pas de redéfinir une «identité française», mais de mettre en accord notre système social et ce que nous pouvons trouver en nous de plus profondément français : la certitude irréfléchie que chaque être humain est «tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui». Et que cela nous crée des devoirs.


Ch. Romain


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dimanche 22 novembre 2009

«Non merci, ça ne m’intéresse pas…»

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Dans le Direct-Soir du vendredi 13 novembre, le chroniqueur Jean-Marc Morandini nous donne l’information suivante : «Les Français n’ont pas été intéressés par la célébration de la chute du mur de Berlin retransmise sur nos deux plus grandes chaînes. (…) Jamais entre 18h et 20h il n’y avait eu si peu de monde devant TF1 et France 2. (…) Seulement 16% de part de marché sur TF1 au lieu des 25% habituels, et 7% de PDM sur France 2 au lieu de 14%. Les téléspectateurs ont fui en masse vers les autres chaînes, boostant les audiences de toutes les chaînes de la TNT à cette heure-là.»

Ainsi, malgré (ou peut-être à cause de) un gros battage médiatique, malgré une semaine de préparation d’artillerie sur le thème de l’événement historique, les Français ont simplement regardé ailleurs.

Je vois dans ce phénomène le même mécanisme que dans d’autres, et en particulier l’abstention électorale. On a assez souligné que cette abstention avait été une nouvelle fois en croissance lors des élections européennes : 53,2% en 1999, 57,2% en 2004 et 59,4% en 2009. Scrutin sans enjeu réel, a-t-on pu dire en guise d’explication. Mais que dire, par exemple, de l’élection législative partielle, en octobre dernier, dans la 12eme circonscription des Yvelines ? Un député à élire, un affrontement PS/UMP, une figure médiatique comme candidat (David Douillet) : tout semblait réuni pour intéresser les foules. Résultat ? 70% d’abstention au premier tour, 67% au second ! Certes, à Rambouillet, peu de temps avant, une autre législative partielle avait mobilisé deux électeurs sur trois. Mais tout de même…

D’autres signes, plus ou moins épars, semblent indiquer la même tendance. Tantôt, c’est un livre annoncé à grand renfort de trompettes comme le succès prévisible de l’année (les entretiens entre Houellebecq et BHL) et qui fait un bide retentissant. Tantôt, c’est une campagne nationale de vaccination qui ne trouve pas preneur. Ou bien, c’est l’invraisemblable floraison sur Internet de dessins et surtout de vidéos prenant pour cible Nicolas Sarkozy avec parfois un talent et une méchanceté de très haut niveau.

L’impression que j’en retire, c’est qu’il se crée entre le peuple français et «la France d’en-haut» non plus un fossé, mais un découplage. Comme si les Français, sollicités de diverses manières, répondaient simplement : «Non merci, ça ne m’intéresse pas...». Les événements de toutes sortes prévus pour eux les laissent de marbre. Et la révolte politique ne s’exprime ni dans la rue, ni dans les urnes, mais sur le mode virtuel de la moquerie par Dailymotion interposé. Comme si une certaine forme d’agitation politique, culturelle ou médiatique n’était pour eux qu’un théâtre d’ombre sans rapport avec le réel, qu’on ignore ou auquel on ne s’intéresse que pour en rire, tandis que l’on poursuit par ailleurs ses activités quotidiennes.

Certains appelleraient cela de la résignation. D’autres s’inquièteraient en soulignant que cela ne peut pas durer éternellement et que l’indifférence n’est peut-être qu’une incubation. Le prochain scrutin, prévu pour mars 2010, va nous apporter un début de réponse. Si les Français, d’une façon ou d’une autre, font passer un message (rejet ou soutien de l’UMP, vote protestataire fort pour les partis extrémistes, vote «vert»…), c’est qu’ils n’auront pas encore perdu tout espoir d’être entendus. Mais si au contraire ces élections connaissent un très fort taux d’abstention, de l’ordre de 45 à 50%, il y aura vraiment lieu de s’alarmer.



Christian Romain

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samedi 21 novembre 2009

Régionales 2010 : l’indépendance est-elle tenable pour le MoDem ?

Au lendemain des réunions de la Grande Motte, le MoDem tendait la main au PS et à Europe Ecologie dans la perspective des prochaines élections régionales. Mais devant le peu d’enthousiasme montré par eux à la saisir, François Bayrou, puis le Conseil national, validaient finalement nolens volens une stratégie d’indépendance lors du premier tour.

Cette décision semble exaucer les vœux d’un grand nombre d’adhérents, soucieux d’affirmer leurs valeurs et de pouvoir se compter à l’occasion de ce premier tour. C’est pour l’heure la doctrine officielle du MoDem. Pourtant, trois éléments au moins peuvent faire douter qu’une telle ligne soit réellement tenable.

En premier lieu, malgré la prolongation jusqu'à mi-novembre de l’appel à candidatures qui devait se clore le 31 octobre, il n’est pas certain aujourd’hui que toutes les listes soient constituées. Apparemment, les volontaires font quelque peu défaut.

En second lieu, François Bayrou a clairement annoncé que le mouvement n’accordera pas de garantie financière aux listes engagées. Outre le fait de doucher un certain nombre d’enthousiasmes, cette décision amène à se demander qui financera des listes autonomes dans certaines régions où le score s’annonce d’ores et déjà un peu tangent. Rappelons en effet qu’en dessous de 5% des suffrages exprimés, les frais de campagne ne sont pas remboursés.

En troisième lieu enfin, et peut-être surtout, les sondages semblent promettre d’une façon générale un résultat relativement peu exaltant. Certes, nous sommes encore à trois mois du scrutin, mais le dernier sondage publié (OpinionWay/LCI du 21 novembre) crédite le MoDem de 7% des suffrages, derrière un FN à 9% et à quasi-égalité avec un Front de gauche à 6%. Pas de quoi entonner un chant d’allégresse…

Dans ces conditions, la voie de la sagesse pour le président du MoDem serait peut-être de chercher à sécuriser son résultat en trouvant un petit parti d’appoint. Un gentil partenaire grâce auquel il pourrait espérer présenter des listes dans toutes les régions, franchir dans un certain nombre d’entre elles la barre des 10% et… se faire financer les frais de campagnes.

Le casting rêvé pour cette opération, ce serait un parti capable d’obtenir 2 ou 3% des voix, et qui soit en quête de légitimité et de notoriété. Dans un monde idéal (comme dit François Bayrou à propos d’autre chose), il faudrait que ce parti soit présidé par une sorte de mécène suffisamment riche pour se permettre de risquer quelques centaines de milliers d’euros dans une campagne un peu aventurée. Le PRG, par exemple, aurait bien fait l’affaire. Malheureusement, Jean-Michel Baylet a déjà passé un accord avec le parti socialiste. Mais qui sait si, en cherchant bien, on ne pourrait pas trouver un autres candidat éventuel ?

Evidemment, dans une telle configuration, le parti pressenti ne manquerait pas d’exiger quelques têtes de liste. D’où de probables remous internes quand il s'agira de faire avaler la pilule aux candidats MoDem qui pensaient figurer en première place dans les régions "sacrifiées". Sans compter bien sûr la réaction mitigée des adhérents partisans de l’indépendance au premier tour. Mais on sait désormais qu’au sein du MoDem les états d’âmes des adhérents ne sont jamais vraiment un obstacle.

D’aucuns objecteront peut-être que, la ligne d’indépendance au premier tour ayant été actée par le Conseil national, il ne saurait être question de revenir dessus. Mais on peut aussi penser que les vérités d’aujourd'hui sont les erreurs de demain et que ce qu’un CN a fait, un autre CN peut le défaire. Cela s'est déjà vu. Surtout si on lui donne de bonnes raisons pour cela ; et plus encore si ces bonnes raisons lui sont données par le chef.

Alors, affaire à suivre ?


Christian Romain

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